Chez le jeune enfant (avant 5-6 ans), un diagnostic différentiel doit être évoqué : l’existence d’une douleur, en particulier d’une douleur chronique. Le tableau clinique de l’enfant douloureux présente de nombreux points communs avec celui de la dépression. De plus, état douloureux chronique et réaction dépressive peuvent s’associer chez un même enfant.6
S’il est normal et bénéfique que l’enfant fasse l’expérience de la tristesse lors d’évènements de vie, ce mal-être ne s’installe généralement pas sur la durée et l’enfant déploie alors ses ressources pour pouvoir lutter contre. Lorsque les symptômes s’installent, il est difficile pour l’enfant de demander de l’aide ; c’est à l’adulte de reconnaître les signes de dépression : un premier pas indispensable pour permettre à l’enfant d’être bien accompagné et de retrouver sa joie de vivre.
Qu’appelle-t-on « dépression infantile » ?
Ne pas confondre dépression et déprime
Pour la Fondation pour l’Enfance3, la déprime correspond plutôt à un passage à vide, un coup de blues. Les adultes comme les enfants connaissent des hauts et des bas, parfois en lien avec leur rythme de vie, leur environnement, les expériences de vie… La déprime est un état passager, de courte durée et non pathologique.
La dépression, quant à elle, est une maladie qui peut apparaître petit à petit, ou parfois après un élément déclencheur et qui s’inscrit dans la durée. Les enfants présentent la même triade que les adultes : fléchissement de l’humeur, de l’intérêt et du plaisir, mais ils ne conscientisent pas et n’expriment pas leur mal-être de la même façon, souligne la Pr Sylvie Viaux-Savelon, pédopsychiatre4. C’est pourquoi il faut être vigilant, attentifs aux changements, et savoir se tourner vers des professionnels spécialisés si un mal-être perdure au-delà de 4 à 6 semaines. D’après l’INSERM5, la dépression peut avoir des conséquences parfois lourdes si elle n’est pas traitée. Chez l’enfant, la dépression entrave son développement, sa scolarité, ses capacités de communication et de socialisation.
Daniel MARCELLI Pédopsychiatre
Des symptômes qui doivent interroger
Si la dépression se manifeste de différentes manières selon les enfants, des signes communs peuvent cependant alerter parents et professionnels. L’Unicef7 retient des symptômes physiques : fatigue même quand l’enfant est reposé, agitation, difficultés de concentration, ralentissement psychomoteur, douleurs sans cause manifeste (maux de tête, maux de ventre…), changements d’habitudes au niveau de l’alimentation, troubles du sommeil, perte de poids.
Des symptômes émotionnels et psychologiques se rajoutent : tristesse, anxiété ou irritabilité permanente, perte d’intérêt pour les amis ou les activités préférées, retrait vis-à-vis des autres et isolement, expression de mal-être, tendance à l’autodévalorisation (« je suis nul », « personne ne m’aime », « je n’ai pas d’amis »…), prise de risque inhabituelle, accidents domestiques à répétition, automutilation, une préoccupation exagérée au sujet de la mort et parfois l’évocation de pensées suicidaires.
Ce qui est constant chez l’enfant déprimé, c’est l’absence de pensée : l’action est en suspens, l’enfant ne pense pas (…) Il n’y a plus d’hypothèse, plus d’anticipation, c’est le symbolique qui est attaqué.8
Marika BERGES-BOUNES Psychanalyste
À chaque âge, ses signes d’alerte de la dépression9
Chez le bébé = dort mal, mange mal, ne gazouille plus, perd des acquisitions.
À la maternelle ou au primaire = dévalorisation, agressivité, instabilité, hyperactivité, mensonge.
Dès la préadolescence = irritabilité, opposition, hostilité (pas seulement dans le milieu familial.)
Olivier REVOL Pédopsychiatre
Des profils très différents
Certains enfants qui traversent une période de dépression, peuvent avoir un aspect petit vieux : une certaine lenteur, un visage peu expressif, peu mobile, peu souriant, observe Daniel Marcelli6, pédopsychiatre. Souvent l’enfant est décrit comme trop sage, renfermé, presque invisible dans un groupe. Mais parfois, au contraire, on constate une hyperactivité : l’enfant est une vraie pile, il ne tient pas en place. Les moments d’agitation peuvent être entrecoupés de moment d’inertie et de repli sur soi. Aux yeux des adultes, constate Sylvie Viaux-Savelon4, pédopsychiatre, le comportement de l’enfant apparaît changé : l’enfant est plus irritable, plus agressif avec les autres, il ne prend plus de plaisir à jouer, il change sans cesse d’activité, il n’a plus envie de rien, il s’ennuie, il n’est jamais d’accord, il n’est pas concentré, pas attentif… Un comportement pouvant facilement être interprété comme de la paresse ou confondu avec des troubles de l’attention (TDAH), ce qui va accentuer l’isolement et le mal-être de l’enfant. La prise de conscience de l’adulte de sa symptomatologie dépressive, est déjà un pas vers la guérison pour l’enfant déprimé.
Quand l’enfant déprimé est seul avec le consultant, il répète volontiers en particulier devant la feuille blanche « j’sais pas », « j’y arrive pas », « j’peux pas ». L’ébauche d’un dessin s’accompagne souvent de commentaires négatifs : « c’est raté », « c’est pas bien », « c’est pas beau ».6
Daniel MARCELLI Pédopsychiatre
Dans les jeux symboliques, les enfants déprimés vont plus facilement faire des scénarios de mise en échec. Certains enfants refusent de jouer parce que les jouets sont cassés, ne sont pas en bon état… comme si cela faisait écho à leur fragilité intérieure. Un enfant qui va bien s’adapte, répare, sera beaucoup plus créatif. 4
Sylvie VIAUX-SAVELON Pédopsychiatre
Les idées noires chez les jeunes enfants
Pour Emmanuel de Becker10, pédopsychiatre et psychothérapeute, il est fréquent durant l’enfance que la mort soit un sujet de crainte, de curiosité, de fascination, qu’il faut savoir différencier des idées noires voire suicidaires associées avec un mal-être profond. Heureusement les idées noires sont rarement suivies d’une tentative de suicide. Mais même si le suicide des enfants est rare en Europe, il existe tout de même : environ 40 enfants par an en France, soit 5% des décès pour la population des 5-14 ans. Des chiffres probablement sous-estimés à cause de l’absence du discours du jeune enfant et le classement en « accident ».
D’après l’Assurance maladie11, les enfants peuvent exprimer des idées et intentions suicidaires dès l’âge de 5-6 ans. Il faut être particulièrement vigilant si cela s’accompagne de troubles psychiatriques associés, d’une impulsivité forte, de maltraitance, d’abus sexuel, d’une violence ou d’harcèlement scolaire, d’un isolement ou d’une rupture affective récente.
Il ne faut jamais banaliser les idées noires chez un jeune enfant. Ayant moins d’inhibition sociale que les adultes, avec des idées moins nuancées sur leur environnement (par exemple, ils peuvent penser qu’ils sont la cause des disputes de leurs parents et imaginer que s’ils disparaissent ceux-ci seraient plus heureux), leurs passages à l’acte sont plus radicaux et sans retour.4
Sylvie VIAUX-SAVELON Pédopsychiatre
Les contextes de la dépression chez l’enfant
Un certain terrain et des facteurs qui s’accumulent
Les causes de la dépression sont complexes et multifactoriels12 : neurobiologiques, endocriniennes, socio-économiques, psychologiques, probablement génétiques… Il est connu maintenant que les facteurs prédisposant à la dépression sont d’avoir un membre de sa famille qui a déjà souffert d’une dépression, d’avoir une maladie chronique, d’avoir certains traits de tempérament comme une émotivité accrue, une anxiété pathologique, ainsi qu’un faible soutien de son entourage.
Il existe aussi des facteurs déclencheurs, comme la perte d’un proche, un conflit avec un ami, un déménagement, l’apparition d’une pathologie, des difficultés ou des pressions ou du harcèlement scolaires.
D’autres facteurs semblent nourrir une dépression déjà installée, par exemple des contextes familiaux conflictuels ou la pauvreté des relations sociales. Heureusement, a contrario, on observe des facteurs protecteurs de la dépression ou de ses récidives, comme les ressources personnelles de l’enfant (prendre du recul, s’adapter, bien comprendre les situations…) et la qualité de ses relations familiales et amicales.
Souvent, le choc d‘une perte ou d’une séparation
Pour Daniel Marcelli6, pédopsychiatre, chez les enfants, la dépression se déclenche souvent au moment d’une perte (décès d’un parent, d’un membre de la fratrie, d’un animal de compagnie, perte d’une illusion comme celle que ses parents s’aimaient ou l’aimaient…), d’une séparation brutale (divorce des parents, changement de nounou…) ou d’un éloignement de l’enfant lui-même par rapport à son environnement (hospitalisation, placement…) Ces évènements sont d’autant plus impactant que l’enfant est petit, entre 6 mois et 5 ans, car ses repères ne sont pas encore stables et permanents. L’angoisse d’abandon peut également être en lien avec une perte indirecte, par exemple des parents qui ne sont plus disponibles psychiquement, trop accaparés par des évènements difficiles de vie, des addictions…
Dans la dépression, il y a souvent un contexte d’isolement. L’enfant est face à une perte réelle ou fantasmée, comme le sentiment de ne plus être aimé. Cela peut toucher tous les enfants et tous les milieux. Cependant, certains enfants sont très exposés comme ceux pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. Les enfants en situation de carence parentale, de maltraitance, de perte de liens et de ruptures, présentent tous les facteurs de risque et devraient être accompagnés systématiquement.4
Sylvie VIAUX-SAVELON Pédopsychiatre
Parfois, la dépression du parent en filigrane
Quand il y a des ruptures de contact inattendues, quand l’enfant sent que son parent n’est plus vraiment avec lui, l’enfant s’agite, affirme Olivier Bonnot13, pédopsychiatre et professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Il va chercher à attirer l’attention et à reprendre l’échange. Si le parent reste impassible, à la longue et avec la répétition, l’enfant devient à son tour apathique au lieu d’être actif et curieux. Son développement et ses apprentissages peuvent être perturbés, voire entravés. Plus l’enfant est petit, moins il a les capacités de comprendre ce qui se passe, de comprendre les difficultés de ses parents. L’enfant, malgré lui, occupe une place extrêmement inconfortable auprès de son parent dépressif ; entre charge supplémentaire et ressort pour aller mieux. Les antécédents de dépression chez les parents peuvent intervenir via des mécanismes carentiels ou identificatoires.
Les enfants de parents dépressifs ont en effet plus de risques de l’être (…) Mais un parent peut s’autoriser quelques faiblesses sans que cela ait des conséquences fâcheuses. Bien sûr, il doit essayer de se soigner. Mais je ne connais personne qui ait élevé son enfant de 0 à 18 ans en sifflotant, le sourire aux lèvres ! 13
Olivier BONNOT Pédopsychiatre (propos recueilli pour la revue L’école des parents)
La prise en charge des enfants en dépression
Un déni général qui ralentit le diagnostic
Marika Berges-Bounes8, psychanalyste, explique que le déni parental est très fréquent ; les parents ne veulent pas voir ce qui pourrait venir ternir leur image de bons parents. Ils résistent à constater les symptômes, à les nommer, à les prendre en compte. Pourtant ils repèrent bien les difficultés que leur enfant traverse et les changements de comportement : par exemple, un souci d’alimentation depuis que le petit frère est rentré de la maternité, les cauchemars qui se sont installés depuis un déménagement… Les signes dépressifs ne sont pas souvent un motif de consultation à part entière, et les parents sont souvent étonnés lorsqu’une personne tierce aborde ce sujet. Il en est de même pour les praticiens pour qui le diagnostic n’est pas si facile à poser, peut-être parce que le statut d’enfant est synonyme de vitalité débordante, de curiosité et de désirs en tout genre.
Parmi les professionnels de santé qui gravitent autour de l‘enfant, il faudrait que les médecins généralistes et les pédiatres soient mieux formés pour évoquer le diagnostic de dépression et adresser au pédopsychiatre de ville ou aux Centre Médico-Psychologiques qui connaissent bien ces pathologies. Les psychologues scolaires sont souvent sensibilisées au sujet, mais malheureusement ne sont pas assez nombreux…4
Sylvie VIAUX-SAVELON Pédopsychiatre
Un accompagnement en fonction de la gravité
Si la dépression est d’intensité légère à modérée14, une psychothérapie de soutien est souvent suffisante. Une écoute bienveillante des adultes et des interactions positives associée à des mesures d’hygiène de vie (un bon sommeil, une alimentation saine, de l’exercice régulier, des pratiques de gestion du stress…) aideront l’enfant à aller mieux.
Si l’épisode dépressif paraît plus sévère, l’orientation se fait vers un spécialiste. Même si c’est rare, l’hospitalisation en pédopsychiatrie est possible, en particulier quand il y a des idées suicidaires, ou que l’environnement est peu sécurisant, précise Sylvie Viaux-Salevon4, pédopsychiatre. En dernier recours il est possible de donner des médicaments, mais avant cela ou en parallèle, de nombreux outils existent : thérapies psychanalytiques, thérapies familiales, psychodrames… Le rôle de la famille est central, on traite toujours un enfant avec son environnement, rappelle la pédopsychiatre. Il faut au moins que les parents ne soient pas hostiles à la prise en charge. Si possible, il faut les faire intervenir, et si besoin, leur proposer d’être eux-mêmes accompagnés. Cela peut être d’ailleurs un grand soulagement pour l’enfant de savoir que ses parents sont aidés aussi de leur côté.
Le face à face dans la thérapie individuelle n’est pas toujours facile pour un enfant, c’est pourquoi les psychodrames présentent beaucoup d’intérêts. Cela consiste à jouer une saynète dont le thème est choisi par l’enfant. Ce dernier et les thérapeutes y jouent chacun un rôle, souvent décalés (l’enfant peut jouer le rôle de sa mère et un thérapeute le rôle de l’enfant ou de sa petite voix intérieure). L’idée est d’aider l’enfant à avoir accès à ses émotions, à mettre des mots sur ses conflits internes, à décomplexifier et à résoudre les situations. 4
Sylvie VIAUX-SAVELON Pédopsychiatre
Continuum entre dépression de l’enfant et autres troubles
Il est essentiel de traiter la dépression de l’enfant afin de réduire les récidives et l’apparition d’autres troubles1. Les études sont rares, mais montrent soit une continuité homotypique avec la persistance du même trouble tout au long du développement, soit une continuité hétérotypique dans lequel le trouble initial devient un facteur de risque pour d’autres troubles à l’adolescence et à l’âge adulte, comme de troubles des conduites, de consommation de toxique et de tentative de suicide. Une étude américaine15 a suivi l’évolution jusqu’à l’âge adulte d’enfants présentant des symptômes de dépression. Elle fait apparaître notamment que ces enfants connaissent souvent une dégradation de toute une série d’indicateurs de bien-être à l’âge adulte. Cette dégradation est d’autant plus forte que les symptômes sont de niveau élevé et répétitifs. Dans l’étude, les enfants qui ont reçu un soutien en santé mentale « s’en sont mieux sortis » à l'âge adulte. Les données encouragent la mise en place de traitements rapides et efficaces, ainsi que d’un soutien continu pendant la période de transition vers l'âge adulte.
En grandissant, lorsqu’il y a une récidive, les enfants dépressifs qui ont été bien pris en charge, savent plus facilement demander de l’aide et s’adresser aux bonnes personnes, et ont moins de résistances à se faire aider. Les épisodes dépressifs peuvent alors être traités plus tôt et auront moins d’impact sur la sphère sociale, familiale… Bien connaître sa maladie est d’une grande aide tout au long de la vie et permet d’éviter les conséquences graves.4
Sylvie VIAUX-SAVELON Pédopsychiatre
Au travers d’un épisode dépressif, on peut y voir du positif : l’enfant comprend que l’on peut se sortir d’une expérience difficile, souvent bien accompagné par quelqu’un qui lui a tendu la main, qui a ouvert le parapluie alors que la pluie tombait très fort et l’a accompagné jusqu’à l’arc-en-ciel.9
Olivier REVOL Pédopsychiatre
Sources
2 https://www.vidal.fr/maladies/chez-les-enfants/depression-enfant-adolescent/causes.html
4 Entretien réalisé pour les Laboratoires Expanscience en octobre 2024 avec la Pr. Sylvie Viaux-Savelon, pédopsychiatre
5 https://www.inserm.fr/dossier/depression/
6 https://www.cairn.info/revue-psychologie-clinique-et-projective-2003-1-page-59.htm
7 https://www.unicef.org/parenting/fr/sante-mentale/qu-est-ce-que-la-depression
8 https://shs.cairn.info/revue-la-clinique-lacanienne-2010-1-page-79?lang=fr
9 https://www.youtube.com/watch?v=Ydt9ZTgEIj4
10 https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2014-2-page-141.htm
11 https://www.ameli.fr/lot/assure/sante/themes/sante-mentale-enfant/depression-de-l-enfant
12 https://www.clepsy.fr/reperer-depression-enfant/
13 https://shs.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2019-1-page-46?lang=fr
14 https://www.clepsy.fr/mon-enfant-a-des-idees-suicidaires-que-faire/
15 https://www.santelog.com/actualites/la-depression-chez-lenfant-laisse-des-marques-vie