Punir un enfant en l’isolant dans sa chambre est très efficace pour le dresser, pas pour l’éduquer.
Depuis que le Conseil de l’Europe réfléchit à enlever la pratique du time-out de ses recommandations, un vieux débat a ressurgi entre ceux qui pensent que les conflits peuvent se régler par le dialogue et ceux qui pensent qu’un peu d’autorité est nécessaire.
Pour ou contre, chacun revendique le désir d’éviter la violence. C’est déjà au moins un point commun !
Qu'est-ce que le time-out ?
Tout commence dans les années 70 qui marquent un tournant aux États-Unis autour des concepts de positive thinking. Les pédagogies alternatives se développent et façonnent petit à petit une nouvelle culture d’éducation parentale. De nouvelles pratiques voient le jour, dont le fameux « file dans ta chambre » qui apparaît comme un substitut à la violence et reste pratiqué depuis par de nombreux parents.
Le time-out, ou en français le temps-mort, est défini par les scientifiques Branter et Doherty comme une période de temps dans un environnement moins renforçateur du fait d’un comportement. Ce qui d’ailleurs présuppose comme base un environnement renforçateur, dans lequel les parents ajustent et soignent la relation avec l’enfant… Mais au cœur du débat pour/contre, c’est vraiment de définition qu’il s’agit : aujourd’hui le time-out est-il passé d’un statut de punition non-physique à celui de violence éducative ?
Le time-out : une forme de violence et d’autoritarisme ?
Pierre VESPIRINI Philosophe, dans une tribune au Monde, en février 2023
Pour certains experts de la petite enfance, le time-out, comme tout autre type de punition, amène à vivre une expérience désagréable, donc est forcément néfaste pour l’enfant. Le time-out laisserait l’enfant en prise avec ses émotions sans en comprendre l’origine et fragiliserait le lien entre parent et enfant.
Sandrine Moreira2, psychologue clinicienne et formatrice, regrette que le time-out vienne isoler l’enfant au moment où il a le plus besoin de l’adulte, sa figure d’attachement. Si, bien sûr, une brève séparation peut être parfois nécessaire pour éviter à l’adulte de perdre ses moyens, le time-out aurait tendance aujourd’hui à être pratiqué en première intention. D’emblée, dès le moindre écart, l’enfant est écarté en lieu et place du dialogue. Pour la psychologue, « c’est la dignité même de l’enfant qui est touchée. » Pourquoi ce dernier n’aurait-il pas droit au même traitement qu’un adulte ? Isole-t-on un ami ou un collègue qui parle trop fort, rechigne à faire une tache ou exprime vivement un avis ? Sûrement non !
Marion Cuerq3, spécialiste du droit de l’enfant, qui a exercé en Suède, dénonce la culture de la punition encore présente en France, au détriment d’une culture de relation. Elle rappelle que le Comité des Droits de l’Enfant classe la pratique de l’isolement dans les violences mentales. Pour elle, dans notre pays, les droits de l’enfant sont donc encore bafoués. « C’est très choquant et arriériste ! » s’alarme-t-elle. Marion Cuerq défend une relation adulte-enfant plus horizontale que verticale. En effet, l’adulte devrait se mettre à la hauteur de l’enfant pour comprendre sa perception du monde, et considérer ce dernier comme auteur, c’est-à-dire un sujet de droit autorisé à exprimer librement refus, avis, émotions…
En France, après la loi anti-fessée de 2019, faut-il gravir une marche de plus en condamnant le time-out ?
Le time-out : une limite nécessaire et sécurisante ?
Les parents devraient se comporter comme des girafes, très élevées, face à des fourmis ou des moucherons très excités, qui font leur travail d’enfant et vont voir jusqu’où s’étend leur pouvoir4.
Caroline GOLDMAN Auteure de livres dont "File dans ta chambre"
Pour Caroline Goldman, le volet des limites a été progressivement rogné du concept d’origine de l’éducation positive. Aujourd’hui on viendrait facilement confondre limites éducatives et maltraitance, ce qui menotte les parents dans l’exercice de leur autorité. Elle se fait ainsi la porte-parole des professionnels accompagnant des parents en grande difficulté éducative. Sans crainte de traumatiser leur enfant, elle encourage les parents à s’autoriser au time-out, qui ne consiste pas à enfermer, mais à exclure momentanément.
Dans son podcast sur les limites éducatives5, Caroline Goldman qualifie le time-out de bonne punition puisqu’il limite l’enfant sans dommage sur aucune partie de sa structuration psychique. Selon elle, trois expériences de time-out de quelques minutes suffiraient pour corriger un comportement inapproprié. Un temps d’une infime durée en comparaison avec tout le temps passé en relation avec son enfant.
Le time-out fait partie intégrante de nombreux programmes d’éducation parentale. Marie-Hélène Gagné est enseignante à l’École de psychologie de Laval et spécialiste de la maltraitance. Afin de limiter les relations parents-enfants à risque, elle encourage à former les parents au programme Triple P (Pratiques Parentales Positives)6, un programme qui intègre la pratique du time-out. Les recommandations se font en pallier : passer du temps de qualité avec son enfant, fournir des activités intéressantes, féliciter, donner le bon exemple, expliquer et établir des règles et des directives claires et de manière calme… et en dernier lieu, si nécessaire utiliser la période de retrait. Un programme désigné par l’OMS comme offrant des preuves scientifiques solides de leur capacité à prévenir la maltraitance des enfants, et en France, recommandé par le gouvernement durant la période du confinement.
Le time-out est-il efficace ?
Comme le rapporte Emmanuel Devouche, enseignant-chercheur à l’université Paris-Descartes, les études sur le sujet éclairent principalement sur les conditions de la pratique du time-out : le type d’enfants concernés, la durée, le lieu… L’efficacité même du time-out est difficile à évaluer, cette pratique revêtant de multiples formes et étant souvent utilisée conjointement à d’autres stratégies éducatives. Cependant, des méta-analyses montrent que les programmes parentaux réduisent les comportements perturbateurs, en particulier grâce au renforcement positif, aux félicitations et au recours à une technique disciplinaire non-violente.
La grande question est de savoir si le time-out est délétère pour l’enfant. À priori, les études n’observent pas d’effets secondaires, à type de dépression, d’anxiété ou d’agressivité… Les études révèlent plutôt une fréquente mise-en-œuvre inadéquate, plutôt délétère pour le coup. En effet, cette non-maîtrise entraine un échec et un sentiment d’inefficacité chez le parent, ouvrant la porte à des stratégies éducatives plus violentes.
Les études réalisées à ce jour ont le mérite de soulever des questionnements : le time-out convient-il à tout âge ? Est-il adapté à tous les enfants et tous les parents ? Comment les parents s’emparent-ils de cette pratique ? Il y aurait un réel intérêt à approfondir la recherche.
Le time-out est un outil au sein d’une boîte à outils comportementale ayant fait les preuves de son efficacité.
L’outil time-out peut être utile, mais il n’est pas indispensable. Il est possible de mettre en place des pratiques parentales efficaces sans s’en servir.
Franck RAMUS Chercheur en sciences cognitives et directeur de recherche au CNRS
Existe-t-il une bonne pratique du time-out ?
Mise à l’écart de quelques minutes seulement, dans un lieu sécurisé, avec la présence de livres ou de jouets invitant au calme… Au-delà de ces quelques repères de bon sens, les scientifiques américains Dadds et Truly pointent des axes structurants. Par exemple :
- La fin de la période de time-out doit reposer sur les facultés d’autorégulation de l’enfant, qui ainsi garde un rôle actif dans le déroulement de l’action.
- Le time-out doit être utilisé uniquement pour des comportements inappropriés de l’enfant sur lesquels l’enfant a un certain contrôle. Il ne doit pas être utilisé pour un comportement qui représente une incapacité à effectuer une action, un manque de compréhension, des erreurs, la peur ou autres émotions accablantes.
- Le comportement du parent qui accompagne le time-out doit être calme et propice à l’attachement.
- Le time-out doit être utilisé pour des comportements prédéfinis et explicités à l’enfant comme étant inappropriés. Ces comportements doivent pouvoir être discutés dans un cadre assurant.
Du time-out... au time-in !
Le time-out peut s’appliquer à nous aussi, parents ! Quand c’est la crise, mieux vaut nous isoler quelques minutes, aller souffler, le temps d’apaiser nos émotions et de pouvoir retrouver notre enfant avec sérénité et plaisir.
Ainsi, par l’exemple, nous suggérons à notre enfant une technique volontaire de retour au calme, plus efficace que si elle était subie.
Marc Collectif de parents
Dans une section, quand un enfant devient ingérable, la règle qui a été définie ensemble au préalable s’applique : il s’agit de sortir quelques minutes pour aller dans le bureau commun à la directrice et l’infirmière dans lequel un petit coin, entre coussins et livres, est dédié au calme.
L’enfant y est en sécurité avec des adultes empathiques. Il rejoint ses petits copains quand il se sent prêt.
Marie-Alice Crèche municipale
Comment soutenir les parents dans leur rôle ?
Écouter et mesurer les difficultés
La journaliste Delphine Saltel, dans la chronique Comment la parentalité excessive nous bouffe la vie7, dresse un tableau réaliste des parents d’aujourd’hui, épuisés par l’injonction de la société à être des parents idéaux et par les modèles performatifs. Elle alerte sur le nombre croissant de burn-out parentaux. « Quand on parle de burn-out, on parle de bougie qui s’éteint à force de se consumer, compare-t-elle. C’est la maladie de ceux qui prennent soin et qui surinvestissent, comme les soignants… mais aussi les parents ! » Encore une fois, sur ce sujet, les sexes ne sont peut-être pas égaux. Les auteurs d’un rapport de la CNAF8 abordent le concept de norme de maternité intensive : « très absorbante émotionnellement, mentalement et physiquement, coûteuse matériellement, cette norme exige des compétences de niveau professionnel pour être réalisée ».
Encourager et valoriser
Claude Martin9, sociologue spécialisé dans les politiques familiales, interviewé dans l’émission Chercheurs en ville, constate que les modèles familiaux changent, mais que les générations se succèdent en exprimant toujours qu’elles ont fait au mieux et ce qu’elles ont pu. « Être parent est une grande aventure qui demande beaucoup d’improvisation. Le seul conseil que j’ai à donner, dit-il, est de laisser place à la spontanéité et de se faire confiance.»
Ludovic Gadeau10, docteur en psychologie clinique et pathologique, s’indigne des recettes toutes faites et des méthodes standardisées qui s’étalent sur le marché de la parentalité dans les magazines ou les réseaux sociaux. Il s’interroge : « Être parent peut-il être appréhendé comme l’est un métier ? Entre-t-on dans l’habit de parent comme on entre dans celui d’avocat ou de mécanicien ? Apprend-on à être parent comme on apprend à être boulanger ou médecin ? Avec des connaissances, des règles et des méthodes à assimiler ? »
Informer et accompagner
Plus que jamais, noyés dans la masse d’informations partisanes ou non fondées scientifiquement, les parents ont besoin de repères fiables. La nécessité de formation est criante sur les dégâts potentiels d’une éducation violente, les conséquences d’une éducation trop autoritaire et les risques d’une éducation excluant toute forme de frustrations. Un accompagnement peut s’avérer précieux pour apprendre à mieux gérer les émotions et les situations de crises, mais également pour redonner du sens à la parentalité.
Sources
1Étude IFOP pour la Fondation pour l’Enfance - mai 2022
2 et 3Articles à retrouver sur le site Les Pros de la Petite Enfance
4 et 5https://www.dailymotion.com/video/x8l6hrd
6Effets positifs du programme Triple P– Pratiques Parentales Positives chez des familles québécoises
7Émission d’Arte Radio, Vivons heureux avant la fin du monde
8Rapport Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soins
9Auteur de « Être un bon parent », une injonction contemporaine (Presse de l’EHESP)
10La parentalité positive à l’épreuve de la vraie vie (Édition yapaka.be)