Le corps est l’outil de base du bébé pour se déplacer, communiquer, découvrir le monde qui l’entoure. Au niveau moteur, lorsqu’un retard ou une difficulté est présente, c’est tout le socle de développement qui est impacté.3
Si la plupart des bébés poussent comme des champignons, certains présentent des fragilités qui peuvent impacter leur développement moteur, mais aussi global. Attentions, opportunités, environnements, postures… Aude Buil, psychomotricienne et chercheure, met en avant les conditions facilitatrices à la mobilité de tous les enfants, ainsi que le soutien actif nécessaire aux enfants vulnérables.
Chez un tout-petit, qu’est-ce que la vulnérabilité ?
Un ensemble de facteurs de risque
Au lieu de parler de vulnérabilité, précise Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure, il vaudrait mieux parler de facteurs de vulnérabilité prédisposant le bébé à développer certains troubles. Ils peuvent être d’origine génétique, environnementale, somatique, psychique, économique, sociale… Un certain nombre de bébés naissent avec des risques de vulnérabilités qui se croisent. D’autres bébés naissent avec un « risque périnatal élevé » qui est susceptible de fragiliser aussi leur développement, par exemple dans les cas de prématurité, de manque d’oxygène à la naissance, de petit poids de naissance, d’encéphalopathie, d’AVC, de méningite, d’infection congénitale au CMV ou à la toxoplasmose, de cardiopathie, d’opération périnatale, d’exposition à des toxiques durant la grossesse (drogues, alcool), etc.
Un possible frein au développement moteur
Les facteurs de vulnérabilité peuvent impacter le développement moteur qui est un pilier du développement global au même titre que les autres dimensions ; sensorielle, relationnelle et cognitive. Toutes ces dimensions fonctionnent en synergie et s’alimentent les unes les autres et avec l’environnement.4
Aude BUIL Psychomotricienne et chercheure
Des fragilités qui ne sont pas figées
Tous les enfants qui naissent vulnérables ou avec un « risque périnatal élevé » ne vont pas forcément développer des troubles du neuro-développement, rassure Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure. Certains bébés qui étaient vulnérables en début de vie peuvent tout aussi bien devenir des bébés « 4x4 » au cours de leur développement, semblables aux bébés qui ont un bon équipement de base et qui parviennent à s’adapter à tous les environnements, qu’ils soient favorables ou non.
À l’inverse, des bébés nés avec un équipement de base solide peuvent tout aussi bien connaître des difficultés dans leur développement. Le développement psychomoteur repose sur 3 piliers : le pilier génétique donc neurologique qui est inné, l’environnement et l’expérience qui sont acquis. Ces piliers peuvent être ébranlés chez n’importe quel enfant. À l’inverse, ils peuvent également venir compenser les fragilités.
Le développement de la motricité du bébé
Notion de fenêtres d’opportunité
Chaque enfant naît avec un grand potentiel d'acquisition. Les fenêtres d'opportunité sont des périodes où l’enfant est particulièrement réceptif à certains domaines de développement.5 Lorsqu'il est encouragé dans ses découvertes, il développe des compétences précieuses pour la vie. En revanche, un environnement peu stimulant limite l’exploitation de ces moments clés. Même si un enfant peut acquérir ces compétences plus tard, cela sera plus fastidieux avec le temps.
Ainsi, beaucoup d'acquisitions se jouent avant 5 ans, période cruciale, mais aussi fragile pour le développement. Les fenêtres d’opportunité varient selon les domaines et s’inscrivent dans des périodes de consolidation. En ce qui concerne le développement de la motricité, la fenêtre d’opportunité est entre 0 et 2 ans. De 2 ans jusqu’à la puberté, l’enfant consolide et affine ses acquisitions.
La plasticité cérébrale est maximale la première année : un printemps dans le cerveau du bébé ! Tout ne se joue pas à ce moment-là, les réaménagements seront toujours possibles par la suite, mais cela sera probablement plus long et plus difficile. 3
Aude BUIL Psychomotricienne et chercheure
Trajectoire d’acquisitions plutôt qu’étapes
En ce qui concerne le développement des enfants, on dit souvent « chacun à son rythme », et on pourrait rajouter « chacun à sa manière ». Il n’y a pas un chemin unique que ce soit dans le temps ou dans les modalités. Mieux vaut ne pas enfermer l’enfant dans un schéma type GPS, s’amuse à dire Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure. En effet, quand on programme une ville-étape dans le GPS, il nous amène forcément à passer par cet endroit. On ne prend pas des chemins de traverse. Or, pour l’enfant, on peut avoir une autre façon de penser les choses, sans étapes prédéfinies. Au bébé d’inventer sa propre trajectoire d’acquisitions pour passer d’une horizontalité au sol à une verticalité en appui sur la surface plantaire. Pour cela, il va progressivement réduire ses points de contact avec le sol en le repoussant et verticaliser son axe. Chaque acquisition qui va dans le sens de « se relever » devient un socle solide pour continuer à progresser.
Progressivité et variabilité en gage de qualité
Un enfant qui se développe bien suit une courbe généralement ascendante, marquée par un perfectionnement progressif. Il n'agit pas toujours de faire plus, mais de faire mieux et différemment, insiste Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure. Bien que des périodes de stagnation ou même de régression puissent survenir, celles-ci ne devraient pas durer plus de quelques semaines. Ce n'est pas parce qu'un enfant cesse momentanément de se retourner qu'il a perdu cette capacité.
En matière de motricité, la variabilité est aussi un signe de bon développement : un enfant ne doit jamais bouger de la même façon, il doit constamment ajuster ses mouvements, en variant leur amplitude, leur intensité ou leur localisation. Comme dans un bon film, il doit y avoir des rebondissements et les scénarios ne doivent pas être toujours les mêmes ! Des mouvements répétitifs et stéréotypés constituent un signal d'alerte.
Aller au-devant des difficultés
Le suivi des vulnérabilités périnatales
La Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité a en charge la création et la coordination des Réseaux de Suivi des Enfants Vulnérables6, des dispositifs territoriaux de suivi et d’accompagnement des enfants nés prématurés, atteints de pathologies ou fragiles.
Concrètement, neuf consultations à des âges clefs sont proposées de la naissance à l’âge de 7 ans et assurées par des médecins formés exerçant en libéral, en PMI ou en établissements de santé.
Les objectifs de ces réseaux sont de :
• suivre le développement et les progrès des enfants à proximité de son domicile et dans sa globalité,
• favoriser le maillage des professionnels impliqués dans le suivi de l’enfant,
• améliorer les pratiques professionnelles et de développer des connaissances sur le devenir des enfants vulnérables.
La réalité du système est que nous n’avons pas les moyens d’accompagner aussi bien et autant qu’il le faudrait. Par exemple, tous les enfants nés prématurément sur le territoire n’ont pas accès au même type de dispositif. Les 10 000 bébés nés avant 32 semaines sont particulièrement suivis. Les 45 000 autres bébés, considérés comme des prématurés tardifs, vont généralement bénéficier d’un suivi classique alors qu’ils sont eux aussi plus à risque de développer des anomalies de la trajectoire développementale. Ils le sont moins que les enfants nés avant 32semaines mais plus que les enfants nés à terme.3
Aude BUIL Psychomotricienne et chercheure
Une vigilance collective
Lorsque les parents s’inquiètent du développement de leur enfant ou lorsque les professionnels observent des signes inhabituels, il est essentiel d'agir rapidement. Le cerveau des jeunes enfants est très adaptable et peut se réorganiser grâce à sa plasticité, si l'enfant est bien accompagné. Une intervention précoce est donc cruciale pour maximiser les chances d'amélioration.
- Des repères qui facilitent la détection des écarts de développement :
Dans le guide Parents et professionnels de la petite enfance, soyons attentifs ensemble au développement de votre enfant7, des grilles d’observation de 6 à 36 mois sont à la disposition des personnes qui entourent l’enfant, de manière à recueillir des observations partagées en vue d’une consultation avec le médecin ou le pédiatre.
- Des repères qui tirent la sonnette d’alarme :
L’association ANECAMSP8 publie sur son site des courtes vidéos sous la forme de dessins animés pour interpeller les parents. Par exemple : « À 6 mois mon bébé ne tient pas sa tête », « À un an mon enfant ne tient pas assis sans aide », « À 18 mois mon enfant ne marche pas »… Ces vidéos sont toutes accompagnées d’un décryptage et de conseils d’un neuropédiatre.
Il faut toujours porter un regard positif sur l’enfant, c’est un moteur énorme pour son développement. En revanche, il faut aussi porter un regard attentif en se rappelant qu’environ 10% des enfants naissent avec des troubles de neurodéveloppement qui vont s’exprimer plus ou moins fortement. Cela ne doit pas être une perte de chance pour ces enfants.3
Aude BUIL Psychomotricienne et chercheure
Comment aider l’enfant vulnérable dans sa motricité ?
La place des parents est primordiale pour le soin d’un enfant à haut risque ou atteint de trouble du neurodéveloppement, qu’il soit sensoriel, moteur ou cognitif. En 1978, Mary Warnock écrivait déjà : « le succès pour l’éducation des enfants ayant des besoins éducationnels particuliers dépend de l’entière implication des parents ». Dans le cadre des nouvelles stratégies développées au niveau international, les parents sont partenaires des professionnels et, pour cela, ils doivent être informés, pour prendre les décisions éclairées et coconstruire le projet de leur enfant avec l’équipe soignante.9
Académie de Médecine
Soigner les manipulations du quotidien
Concernant la mobilité, certains bébés, plus vulnérables, auraient besoin qu’on leur montre le chemin. Or certaines façons de mobiliser le bébé pourraient être contreproductives pour l’enfant si elles empruntent régulièrement un chemin qu’il ne pourra pas emprunter seul. Par exemple, conseille Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure, lors du change, au lieu de lui faire faire la chandelle, on pourrait inciter l’enfant à rouler doucement sur le côté, et si besoin enrouler son bassin et en le laissant prendre des appuis.
À force de répéter ces manipulations de la même manière, son cerveau va enregistrer le premier mouvement de bascule droite-gauche qui lui sera nécessaire au tapis pour se retourner quand il sera prêt. C’est ce que l’on appelle un engramme moteur, dont les neurosciences nous apprennent qu’il s’acquiert avec la répétitivité.
« Allez de l’avant », « Avoir des soucis plein le dos » sont des expressions très utilisées en français, comme s’il n’y avait que deux plans : le devant vers lequel on doit se diriger et le derrière qu’il faut vite laisser. Alors qu’en fait, le fait de passer de côté rajoute un troisième plan à l’espace et enrichit la motricité. 3
Aude BUIL Psychomotricienne et chercheure
Encourager la position sur le ventre dans le plaisir
Les parents peuvent avoir de la difficulté à mettre leur bébé sur le ventre, surtout s’il semble ressentir un certain inconfort. Pourtant, la position sur le ventre, durant les phases d’éveil, offre à l’enfant des opportunités spécifiques essentielles à son développement sensorimoteur. Pour Laurence Rameau10, puéricultrice, mettre régulièrement le bébé sur le ventre permet de muscler toute la partie du dos. Sur le ventre, les coudes bien à l’aplomb des épaules, le bébé va apprendre à ramper et plus tard à s’asseoir. Cela ne sert à rien de vouloir l’asseoir avant. Des petits jeux permettent d’apprivoiser cette position11. Le bébé peut être placé sur les jambes de l’adulte assis au sol : le genou de l’adulte en se soulevant permet à l’enfant d’être moins à l’horizontale, une main posée sur son dos le stabilise et le rassure. Le bébé peut être placé également sur le ventre d’un adulte qui lui-même est couché au sol.
Transformer les bébés en petits yogis !
Des vêtements adaptés aux mouvements… Une étude parue dans la revue « Gait & Posture » a montré que la liberté de mouvement de l’enfant nécessite un habillage non contraignant. 12 La vitesse de marche et la longueur des pas sont plus faibles avec un pantalon qu'avec une couche et des sous-vêtements. Donc mieux vaut favoriser les vêtements ultra-souples, et éviter les jeans contraignants, les robes pour les petites filles qui risquent de se prendre les pieds dedans.
De bons appuis…
Laisser les bras dévêtus jusqu’aux coudes, ainsi que les pieds nus, facilite les prises d’informations sensorielles sur ces zones. Cela aide le bébé à mieux perçoir son corps, à mieux sentir les points de contact et à mieux se déplacer.3
Aude BUIL Psychomotricienne et chercheure
Soigner l’environnement
Pour Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure, l’environnement a une grande importance. Pour l’optimiser, on peut :
Mettre en place un espace sécurisé, qui permet à l’enfant de se mobiliser et d'expérimenter par lui-même sans que l’adulte n’intervienne constamment ou pose un regard anxieux sur lui. Une mise en confiance mutuelle.
Éviter le matériel de puériculture contenant : cosy, balancelle, transat… qui réduit la mobilité, en particulier latérale. De plus, selon une étude, chaque heure passée dans ce type de dispositif multiplie par 2 le risque de déformation du crâne à 4 mois.
Augmenter les temps de partage familiaux au sol en se mettant tous au même niveau pour rouler, se chatouiller, jouer, lire…
Limiter les jeux dits éducatifs. Pour l’adulte, les objets ont des fonctions et doivent être utilisés de la manière pour laquelle ils ont été conçus. Pour les bébés, les objets ont des propriétés à découvrir par la manipulation.
Faire tourner les jeux à la disposition de l’enfant. On peut poser par exemple trois objets au sol, un qu’il connaît bien et deux jeux qu’il n’a pas vus depuis un certain temps, pour aiguiser sa curiosité et susciter son attention.
Être disponible tant que l’enfant est petit
Au cours des premières années de vie, rappelle Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure, il y a des neurones surnuméraires dépendants d’expériences. Si l’enfant ne les mobilise pas, une sélection neuronale aura lieu. Ces neurones vont disparaitre ou leur activité va être inhibée. Tout ne se joue pas la première année, mais la mobilisation du cerveau est très importante au début de la vie. C’est pourquoi travailler sur les difficultés est plus intéressant dans cette période-là. Il est fréquent que les parents se demandent s’ils doivent ralentir professionnellement la première année pour accompagner leur enfant. À la vue des données scientifiques que l’on possède, la réponse est oui ! conseille la psychomotricienne. L’enfant vulnérable a besoin de ses parents auprès de lui, pour lui offrir une contenance psychique, une attention de tous les instants, un accompagnement particulier au quotidien et des encouragements dans toutes ses découvertes… encore plus que les autres enfants. Tous les relais familiaux sont aussi les bienvenus.
Offrir un niveau d’accompagnement individualisé
L’accompagnement d’un enfant vulnérable oblige à réajuster les modèles prédéfinis, car il nécessite d’être personnalisé. Par exemple, la motricité libre, si elle est bénéfique pour la plupart des enfants, ne l’est pas suffisamment pour certains. L’adage « ça va venir tout seul » n’est pas vrai pour un bébé vulnérable, qui peut rapidement se retrouver bloqué dans son corps et vivre des expériences négatives. En difficulté, le bébé pourrait devenir passif, bouger peu, ne plus chercher à attraper des objets ; ou bien il pourrait souvent pleurer et se désorganiser, alerte Aude Buil3, psychomotricienne et chercheure.
Accompagner un enfant vulnérable est un vrai projet, comme celui d’accompagner ses parents. En effet, s’il n’est déjà pas facile d’être parent, c’est encore plus difficile d’être parent d’un enfant vulnérable. Perte de confiance, fatigue, culpabilité, angoisse du futur… Les vulnérabilités des enfants viennent entrainer des vulnérabilités chez le parent, notamment au niveau psychique. Attention au cercle vicieux où les difficultés des uns nourrissent les difficultés des autres.
L’association Léa est un réseau composé de familles, de bénévoles, de professionnels de santé et de l’action sociale, qui accompagne les familles d’enfants malades ou porteurs de troubles. En plus de ses actions de terrain, elle met à disposition des familles des livrets pour donner accès à l’information, aider à comprendre, alléger la charge mentale.
Par exemple : le guide « Et maintenant, je fais quoi ?13 » ou le guide « S’alerter ou pas ? 14»
Sources
1 https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-1000-premiers-jours.pdf
2 https://epipage2.inserm.fr/index.php/fr/prematurite/241-l-etude-epipage-2
3 Entretien réalisé pour les Laboratoires Expanscience en octobre 2024 avec Aude BUIL, Chercheure, Formatrice, Psychomotricienne, Docteure en Psychologie du développement, Département Data Recherche Innovation Information Médicale (DRIIM) et Néonatalogie CHI Créteil, Université Paris Cité LPPS UR4057 - audebuil11@gmail.com
6 https://ffrsp.fr/actions/reseaux-de-suivi-des-enfants-vulnerables/
10 https://www.youtube.com/watch?v=lt-EF-uJzko
11 Buil, A & Chevalier, B (2019). Vulnérabilités et Interventions précoces. In Devouche, E., & Provasi (Eds), J. Le développement du bébé de la vie fœtale à la marche: Sensoriel-Psychomoteur-Cognitif-Affectif-Social. Elsevier Health Sciences.
12 Théveniau, N., Boisgontier, M. P., Varieras, S., & Olivier, I. (2014). The effects of clothes on independent walking in toddlers. Gait & posture, 39(1), 659-661.
13 https://it4v7.interactiv-doc.fr/html/le__a_guide_administratif_2023_684/
14 https://www.asso-lea.org/90-guides-et-livrets-le-guide--s-alerter-ou-pas--.html