En France, les femmes détenues peuvent garder leur enfant avec elles en cellule jusqu'à l'âge de 18 mois, avec des dérogations possibles quelques mois de plus. Ces cellules accueillent également les femmes dès le septième mois de grossesse.
Un enfant innocent derrière les barreaux… la situation a de quoi choquer. Comment le système pénitentiaire tente-t-il d’encadrer la périnatalité et protéger l’enfant, pris en tenaille entre un milieu inapproprié et le besoin fondamental de rester auprès de sa mère ?

60 mères
environ sont incarcérées avec leur enfant chaque année en France (1)
3/4 des enfants
intègrent la prison à la suite d’un accouchement pendant la période de détention (2)
7 mois
C’est le temps que les enfants passent en moyenne en détention (2)
Les cellules mère/enfant

Les cellules mère/enfant

L’état des lieux des structures en France 

En Europe, deux modèles de répartition des cellules mère/enfant sont observés2. Le premier consiste à regrouper ces cellules dans quelques établissements spécifiques et dédiés à ces femmes enceintes et mères, ce qui facilite les partenariats avec les acteurs de la petite enfance, et permet des déplacements des enfants vers des lieux de vie collectifs en dehors des cellules. Le deuxième modèle, plus courant en France, consiste à répartir les cellules mère/enfant sur un grand nombre d'établissements pénitentiaires, accolées à celles des autres détenues femmes. Cette configuration, bien que rendant plus difficile la mise en place de partenariats et d'équipements spécifiques, favorise le maintien des liens familiaux et la préparation à la sortie. 

En France, les cellules mère/enfant sont dispersées dans 31 établissements du territoire. La majorité de ces cellules se trouve dans des maisons d'arrêt, principalement destinées aux prévenues et aux condamnées à de courtes peines. Parmi les 79 cellules disponibles, la grande majorité est isolée, seuls quatre établissements offrent plus de cinq places, permettant ainsi l'installation d'espaces collectifs appelés unités nurseries. 

 

Le profil socio-démographique et judiciaire des détenues

Caroline Touraut, docteure en sociologie, a participé à une étude de la Direction de l’Administration Pénitentiaire entre 2018 et 20193. Cette étude révèle que :

  •  L'âge moyen des mères incarcérées est de 29 ans ; ce qui est plus jeune que les femmes en détention dans leur ensemble. 
     
  • Les mères avec enfant sont deux fois plus nombreuses que les femmes enceintes à vivre en détention.
     
  • Sur la totalité, 35% d'entre elles sont de nationalité étrangère. 
     
  • Les infractions les plus fréquentes concernent les stupéfiants, les vols, et les atteintes à l'autorité de l'État.
     
  • Les trois quarts de ces femmes arrivent en prison enceintes de six mois en moyenne, tandis que le reste arrive avec un enfant de moins de 15 mois.
     
  • La majorité des femmes sortent avec leur enfant après leur libération ou l'obtention d'un aménagement de peine.

Sans généraliser, c’est triste tout de même de constater que la plupart des femmes qui ont commis des actes de petite délinquance l’ont fait dans un contexte de précarité sociale extrême, avec l’idée de vouloir offrir un avenir meilleur pour leurs enfants.4

Anaïs OGRIZEK Anaïs OGRIZEK Pédopsychiatre intervenant en prison, chercheuse à l’INSERM

Des conditions plus avantageuses

Les détenues enceintes ou accompagnées de leur enfant bénéficient d'un régime particulier, et ce uniquement dans l’intérêt de l’enfant1. Les cellules qui les accueillent sont plus grandes et les horaires d'ouverture des portes sont prolongés pour permettre aux enfants de circuler dans un espace plus vaste et, quand cela est possible, de rencontrer d'autres personnes.

Les unités nurseries ou quartiers mère-enfant offrent également des aménagements spécifiques qui permettent de profiter une grande partie de la journée d’espaces et d’une cour privative dédiés. L'ambiance est généralement plus détendue que dans le reste de la prison, avec des interactions plus fréquentes entre mères et une attitude moins rigide des surveillantes. Cependant, ces places réservées étant souvent sous-occupées, la mère peut se retrouver seule avec son enfant.

En détention, les mères sont souvent très isolées. Quand elles sont enceintes, elles sont mises à l’écart des autres détenues au cours du deuxième trimestre de grossesse. Quand elles ont accouché et sont incarcérées dans des cellules mère/enfant isolées, c’est du 24h/24 avec leur enfant dans un espace très réduit. Il faut imaginer la difficulté que cela représente. De plus, sans relais ni mode de garde, les mères n’ont pas d’accès à un emploi qui pourrait leur amener une remise de peine.4

Anaïs OGRIZEK Anaïs OGRIZEK Pédopsychiatre intervenant en prison, chercheuse à l’INSERM

Une organisation spécifique des soins

Selon les recommandations de l’HAS5, l’Institution pénitentiaire se doit de mettre en place une évaluation systématique de la femme enceinte ou du couple mère/enfant réalisée par un pédopsychiatre formé en périnatalité. Cette évaluation a pour objectif le dépistage et la prise en charge précoces d’une situation de dépression anténatale et du postpartum, d’une éventuelle souffrance émotionnelle chez le bébé, de l’accompagnement de la femme enceinte dans l’investissement de sa grossesse, la valorisation et le soutien des compétences parentales de la mère… Cet entretien, quand il n’est pas obligatoire, n’est pas demandé par les femmes de peur d’être considérées comme « folles » et que cela porte préjudice à leur dossier.

Par ailleurs, le suivi médical de la mère et de l’enfant ainsi que des conditions d’accouchement devraient être similaires à celles des autres parturientes. Par exemple : proposer des séances de préparation à la naissance en distanciel, ne pas être menottée à la maternité, permettre des interventions de la PMI en prison… Mais sur le terrain, il persiste encore bien des disparités.

Pour des raisons d’organisation, comme le transfert de la détenue à la maternité qui nécessite des autorisations, de très nombreux accouchements sont programmés. Ensuite, la maman et son bébé restent trois jours à la maternité avec une surveillance policière devant la porte de la chambre.4

Anaïs OGRIZEK Anaïs OGRIZEK Pédopsychiatre intervenant en prison, chercheuse à l’INSERM

Être à la fois mère et détenue

Être à la fois mère et détenue

Des difficultés à se projeter

Durant les premiers mois, constatent Sophie Guillermain et Marie-Noémie Plat6, psychologue et psychiatre en milieu carcéral, il y a une difficulté à investir la grossesse.

En prison, le rapport au temps est déformé : paradoxalement figé ou accéléré, ce qui complique la capacité des femmes à se projeter avec leur bébé. Comment investir un enfant qui représente le passé, l’avenir, l’extérieur, tout ce qui est préférable d’oublier pour vivre son présent sans trop souffrir ?

De plus, l’investissement d’une grossesse est aussi en lien avec l’entourage. En effet, le père, les proches, les amis façonnent et renforcent chacun à leur manière la femme dans sa nouvelle identité de femme enceinte ou de mère. Pour ces femmes en détention, ce processus n’existe pas. 

Au fur et à mesure que la grossesse avance, les femmes doivent faire face à la réalité de devenir mère en prison. L’investissement n’est pour autant facilité, car l’enfant à naitre est symbole d’un avenir qui soulève de nombreuses craintes.

 

Une maternité sous surveillance

Corinne Rostaing1, sociologue, constate que les mères incarcérées sont surveillées aussi bien comme détenues que comme mères. Une double peine. Elles vivent leur maternité sous le regard constant et vigilant, à la fois du personnel pénitentiaire et des autres détenues, ce qui peut créer une grande anxiété et des dérives comportementales. Par exemple, certaines mères suralimentent leurs enfants pour prouver qu'ils sont en bonne santé, ce qui est perçu comme un signe de bonne maternité. À l’inverse, une mère qui laisse pleurer son bébé la nuit risque d'être étiquetée comme « incompétente » par les autres détenues. 

En nursery, se confrontent également les pratiques de maternage en lien avec les diversités culturelles, comme le portage ou les soins corporels. La promiscuité non choisie induit toujours des comparaisons et exacerbe le sentiment de ne pas faire comme il faut. Les signalements sont plus nombreux sans pour autant être justifiés.

 

Une maternité sous l’angle de la passivité

En prison, il faut respecter les règles et il n’y pas de place pour l’aléatoire, même en ce qui concerne la maternité, regrette Anaïs Ogrizek4, pédopsychiatre et chercheuse à l’INSERM. Les mamans en détention n’ont pas le luxe des autres mamans de faire comme elles le souhaitent, comme elles le sentent, comme elles pensent que c’est bon pour leur enfant. Tout ce qui relève du bébé est formaté et imposé par l’établissement : les horaires, les petits pots, les couches, les soins, les recommandations médicales… Les mamans sont complètement passives et soumises à l’autorité des surveillantes, toujours au-devant des situations, qui en plus de dicter les règles, prodiguent des conseils, cela sans en avoir les compétences.

Il faut mesurer l’impact de la détention sur le comportement humain : l’emprisonnement conduit à l’irresponsabilité de soi et des autres, alors qu’être parent c’est avant tout se sentir responsable.7

Alain BOUREGBA Psychologue, président de la Fédération des Relais Enfants-Parents

Une maternité en format étriqué

Alain Bouregba7, psychologue, président de la Fédération des Relais Enfants-Parents, rappelle que l’emprisonnement entraine un huit clos avec trop d’intimité, trop de proximité, ce qui renforce la crainte et l’hostilité à autrui. Même entre mères, dans les nurseries, les femmes se méfient beaucoup les unes des autres. Avec son propre enfant, il ya une sorte d’agrippement de cet autre dont on n’a rien à craindre. L’enfant devient un support affectif considérable pour sa mère et vient combler un vide immense. Normalement l’enfant est une aide pour son parent et inversement, mais le parent reste le principal aidant. En prison il y a comme une inversion des rôles : l’enfant est dans le rôle du donnant en termes d’affectivité, d’émotions… bien plus qu’il ne peut donner et même recevoir.

Maman et bébé ne font qu’un : 1+1=1

La fusion primaire initiale nécessaire à la construction du lien mère-bébé se prolonge souvent en prison et nous laisse entrevoir un collage qui répond plus aux besoins de la mère qu’à ceux de l’enfant. Parfois le bébé « objéifié » a pour mission de pallier l’isolement généré par l’incarcération qui réactualise des vécus infantiles d’abandon. 6

Sophie GUILLERMIN et Marie-Noémie PLAT Psychologue et Psychiatre en milieu carcéral

Pour le couple mère/enfant en détention il n’y a pas de tiers séparateur, un rôle que joue un général le père ou le mode de garde. Pour ces femmes il n’y a pas de défusion, comme si le bébé était encore en elle, comme s’il n’y avait pas eu de naissance. Le bébé, à l’intérieur de la prison, n’est pas né aux yeux du monde d’ailleurs…4

Anaïs OGRIZEK Anaïs OGRIZEK Pédopsychiatre intervenant en prison, chercheuse à l’INSERM

La recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant

La recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant

Rester avec sa mère

Même si la prison n’est pas un lieu adapté pour les enfants, tous les experts s’accordent pour dire que le mieux pour un nourrisson est de rester auprès de sa mère. Une séparation forcée dans les premiers mois de vie est préjudiciable au développement de l’enfant et au lien d’attachement. Lors de sa visite au quartier des mères de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis en 1987, la psychanalyste Françoise Dolto8 soulignait l’importance de laisser l’enfant auprès de sa mère, quel que soit le contexte, plutôt que de l’en séparer. Il n’est d’ailleurs pas prouvé que les détenues seraient de plus mauvaises mères que les autres, même si la population incarcérée est souvent plus vulnérable et carencée.

D’après des recherches menées pas l’Université de Liège, les enfants d’âge préscolaire qui sont séparées de leur mère ont plus de troubles anxiodépressifs en comparaison avec ceux pouvant rester vivre avec leur mère en prison. Tout comme les difficultés relationnelles ou le risque de développer des symptômes qui peuvent être régressifs ou post-traumatiques.7

Grandir en prison

Même si les mères sont très investies auprès de leur enfant, en essayant de le stimuler avec tout ce qu’elles ont sous la main, il faut quand même reconnaître, admet Anaïs Ogrizek4, pédopsychiatre intervenant en prison, qu’il y a un grand pan de la découverte que l’enfant fera à la sortie : les arbres, les animaux, les couleurs, les voitures… parfois même les autres enfants ou les hommes s’il a été jusque-là exclusivement entouré de femmes !

En prison, tout est ritualisé : les repas, les bruits de clefs, les claquements de portes… Si pour sa mère, sa vie est à l’extérieur, pour l’enfant sa maison est la prison avec la routine qui l’accompagne. Cette pauvreté des sensations, de l’environnement et des interactions peut évidemment impacter le développement de l’enfant. En sortir sera pour lui immensément bénéfique, mais aussi un gros chamboulement, source de multiples peurs.

Une étude psychologique longitudinale des bébés en prison avec leur mère a montré que le développement des facultés cognitives et motrices se ralentissait progressivement. On suppose que ce phénomène est dû au fait que le milieu carcéral restreint l'exercice et l'exploration. Lorsqu'un bébé commence à se redresser, à ramper et à marcher, son terrain d'exploration en prison est très limité. L'étude fait apparaître que lorsque la mère est libérée, le développement général du bébé s'accélère notablement.9 

Rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Réduire les stigmates carcéraux

En prison, l’enfant n’a officiellement aucun statut particulier, il est libre et placé sous la responsabilité de sa mère. Des mesures sont mises en place pour protéger son anonymat au sein de l’établissement pénitentiaire, comme l’explique la sociologue Coline Cardi9. La circulaire du 6 août 1987 souligne l’importance des précautions pour le protéger du stigmate lié à l’incarcération maternelle. Ainsi, lors de l'incarcération d'une femme avec son enfant, seule la mention « accompagnée d’un enfant » figure sur sa fiche, tandis qu'une fiche distincte contenant le prénom, sexe, date et lieu de naissance de l’enfant est ajoutée au dossier et détruite à la sortie de ce dernier. Lors des sorties temporaires, les signes de la détention sont également effacés : véhicule banalisé, mère non menottée, etc.

 

Éviter l’emprisonnement

En 2000, dans un rapport de l’Assemblée du Conseil de l’Europe9, des recommandations sont formulées pour traiter autrement les délinquantes enceintes ou avec enfant. En effet, pour une très grande majorité des délits qui sont relativement mineurs, les États membres sont invités appliquer des peines d’intérêt général à purger au sein de la communauté et de ne recourir à la détention qu’en dernier ressort.

Pour Anaïs Ogrizek, pédopsychiatre intervenant en prison et chercheuse, il faut également se tourner vers des dispositifs plus satisfaisants10 pour les femmes enceintes ou avec enfant : 

• Autant que possible, favoriser les libérations provisoires ou conditionnelles.

• Pour la mère qui doit rester en détention et peut vivre en autonomie : des structures plus indépendantes du milieu carcéral et plus ouvertes sur l’extérieur qui permettent de mener une vie familiale normale.

• Pour la mère qui doit rester en détention et a besoin d’un accompagnement à la parentalité : des structures indépendantes de la prison, comme certaines unités de psychiatrie qui existent déjà, entourées d’une coque pénitentiaire, mais dans laquelle des soins pourraient être dispensés par un personnel spécifiquement qualifié.

 

L’enfant, qui pâtit déjà des conséquences de l’incarcération de sa mère, n’a nullement besoin de pâtir également des conditions d’incarcération pour lui-même.4

Anaïs OGRIZEK Anaïs OGRIZEK Pédopsychiatre intervenant en prison, chercheuse à l’INSERM