Des difficultés à se projeter
Durant les premiers mois, constatent Sophie Guillermain et Marie-Noémie Plat6, psychologue et psychiatre en milieu carcéral, il y a une difficulté à investir la grossesse.
En prison, le rapport au temps est déformé : paradoxalement figé ou accéléré, ce qui complique la capacité des femmes à se projeter avec leur bébé. Comment investir un enfant qui représente le passé, l’avenir, l’extérieur, tout ce qui est préférable d’oublier pour vivre son présent sans trop souffrir ?
De plus, l’investissement d’une grossesse est aussi en lien avec l’entourage. En effet, le père, les proches, les amis façonnent et renforcent chacun à leur manière la femme dans sa nouvelle identité de femme enceinte ou de mère. Pour ces femmes en détention, ce processus n’existe pas.
Au fur et à mesure que la grossesse avance, les femmes doivent faire face à la réalité de devenir mère en prison. L’investissement n’est pour autant facilité, car l’enfant à naitre est symbole d’un avenir qui soulève de nombreuses craintes.
Une maternité sous surveillance
Corinne Rostaing1, sociologue, constate que les mères incarcérées sont surveillées aussi bien comme détenues que comme mères. Une double peine. Elles vivent leur maternité sous le regard constant et vigilant, à la fois du personnel pénitentiaire et des autres détenues, ce qui peut créer une grande anxiété et des dérives comportementales. Par exemple, certaines mères suralimentent leurs enfants pour prouver qu'ils sont en bonne santé, ce qui est perçu comme un signe de bonne maternité. À l’inverse, une mère qui laisse pleurer son bébé la nuit risque d'être étiquetée comme « incompétente » par les autres détenues.
En nursery, se confrontent également les pratiques de maternage en lien avec les diversités culturelles, comme le portage ou les soins corporels. La promiscuité non choisie induit toujours des comparaisons et exacerbe le sentiment de ne pas faire comme il faut. Les signalements sont plus nombreux sans pour autant être justifiés.
Une maternité sous l’angle de la passivité
En prison, il faut respecter les règles et il n’y pas de place pour l’aléatoire, même en ce qui concerne la maternité, regrette Anaïs Ogrizek4, pédopsychiatre et chercheuse à l’INSERM. Les mamans en détention n’ont pas le luxe des autres mamans de faire comme elles le souhaitent, comme elles le sentent, comme elles pensent que c’est bon pour leur enfant. Tout ce qui relève du bébé est formaté et imposé par l’établissement : les horaires, les petits pots, les couches, les soins, les recommandations médicales… Les mamans sont complètement passives et soumises à l’autorité des surveillantes, toujours au-devant des situations, qui en plus de dicter les règles, prodiguent des conseils, cela sans en avoir les compétences.