Depuis quelques années, le regard sur les violences physiques envers les enfants évolue. Le déni et le tabou commencent à laisser la place à la reconnaissance de la souffrance et à la nécessité urgente d’agir. Malgré tout, les chiffres sont encore alarmants : chaque semaine, en France, un enfant meurt sous les coups de ses parents1… et combien passent à travers les mailles de la détection ?

1 enfant
meurt chaque semaine sous les coups de ses parents, en France (1)
96 700 enfants
ont été victimes de violences physiques (dont 54% au sein de la famille) en France, en 2023 (2)
+16 %
de violences intrafamiliales non conjugales, selon le ministère de l’Intérieur, dont des violences physiques et sexuelles, en 2021 par rapport à 2020 (1)
40 334
cas d'enfants en situation de danger ou en risque de danger ont été traités par le 119 en 2022 (1)
Tout-petit qui pleure

Maltraitance physique, de quoi parle-t-on ?

La maltraitance sous le prisme des besoins fondamentaux

Anne Tursz3, pédiatre et épidémiologiste, rappelle qu’il y a danger chaque fois que les besoins de l’enfant ne sont pas satisfaits, ignorés ou négligés. Répondre à ses besoins fondamentaux (manger, dormir, être lavé, soigné, recevoir de l’amour, être en sécurité…) c’est bien-traiter un enfant. Ne pas le faire, c’est le mal-traiter.

Parmi les différents types de maltraitances, on parle de maltraitance physique quand il y a usage de la force physique envers un enfant, quand des actes de brutalité sont perpétrés, qu’ils soient isolés (frapper, droguer, étrangler, brûler…) ou répétés et systématiques, souvent justifiés comme méthode éducative. Le perpétrateur des violences peut être un membre de la famille (parent, beau-parent, autre…), mais aussi une personne qui garde l’enfant (nounou, voisin…).

Plus l’enfant est jeune, plus il lui est difficile d’exprimer la douleur et de témoigner des actes de maltraitance. Professionnels et parents doivent être vigilants.

Des violences qui persistent

Selon l’UNICEF, des méthodes violentes pour l’éducation des enfants persistent dans le monde entier : 330 millions d’enfants de moins de 5 ans sont punis physiquement, un peu plus d’un responsable de famille sur quatre indique que les châtiments physiques sont nécessaires pour élever et éduquer correctement les enfants. 18

Les données parcellaires de la maltraitance

Comme le souligne, Caroline Semaille4, Directrice de Santé publique France, les données épidémiologiques ne permettent pas de documenter correctement l’ampleur des violences faites aux enfants. Seule une petite partie des violences sont mesurées, notamment les violences physiques dans un contexte de gravité extrême.

À l’aide des données administratives disponibles, il est possible de mesurer la partie visible de l’iceberg : combien d’enfants sont pris en charge par la protection de l’enfance ? Combien sont hospitalisés ? Combien décèdent ?

À l’aide des données d’enquête, on peut imaginer la face immergée : combien d’adultes ont subi des maltraitances durant leur enfance ? Les enfants qui subissent des violences sont encore aujourd’hui les invisibles de la statistique publique.

Dans le monde et en particulier en France, les recherches en épidémiologie autour des violences sur les enfants sont limitées. Heureusement cette thématique commence à être abordée et le tabou sur les violences faites aux enfants se lève.14

Flora Blangis Flora BLANGIS Sage-femme épidémiologiste

Des facteurs de risque confirmés

D’après une récente étude de cohorte menée par les équipes d’EPI-PHARE et de l’INSERM5, des facteurs maternels, prénataux et postnataux ont pu être identifiés à nouveau.

Les facteurs les plus fortement associés aux violences précoces sur les nourrissons sont :

  • les faibles ressources financières de la mère,
  • le jeune âge de la mère,
  • les troubles liés à la consommation d’alcool et d’opiacés chez la mère,
  • la violence exercée par le partenaire (hospitalisation de la mère pour violences conjugales),
  • le diagnostic d’un trouble mental chronique de la mère,
  • l’hospitalisation de la mère en psychiatrie,
  • la naissance très prématurée,
  • le diagnostic d’une pathologie neurologique chronique sévère chez le nourrisson.

Flora Blangis, sage-femme épidémiologiste, qui a participé à l’étude, précise que si les données ont été recueillies auprès des mères, l’étude a pour objectif de cibler un environnement tout entier présentant un risque de maltraitance physique.

On ne sait pas précisément ce qui déclenche l’acte de violence physique sur le tout-petit. Des études sont en cours et confirmeront peut-être certaines hypothèses comme les pleurs, la fatigue des parents, un manque d’empathie, un attachement qui ne s’est pas encore fait, en plus des pleurs qui est un élément déjà bien connu dans la littérature scientifique. Dans tous les cas, on se demande s’il n’y a pas un manque de connaissances des conséquences désastreuses des gestes violents sur le bébé.14

Flora Blangis Flora BLANGIS Sage-femme épidémiologiste

pas-de-violences-sans-consequences

Pas de violences sans conséquences…

Une confrontation inégale… et un risque vital

L’enfant, par nature physiquement fragile, ne fait pas le poids face à un adulte, en particulier dans une situation de non-contrôle émotionnel.

Le syndrome du bébé secoué6 en est une terrible illustration… Il s’agit d’un véritable traumatisme crânien pour le nourrisson entrainant immédiatement des symptômes graves (somnolence, vomissements, troubles oculaires, convulsions, difficultés respiratoires…) et, bien sûr, des lésions au niveau cérébral responsables de dommages permanents : des retards, des déficits psychomoteurs, des difficultés d’apprentissages… voire des paralysies, et parfois des décès. Chaque année, en France, en moyenne 400 bébés seraient victimes de secouements, sans compter que les chiffres seraient largement sous-estimés.

Chez les bébés de quelques mois, la vulnérabilité est évidemment extrême, mais les enfants à tout âge peuvent également subir des blessures graves s’ils sont secoués ou bousculés avec violence.

66% des bébés secoués ont entre 0 et 6 mois. Entre 1 à 2 enfant(s) sur 10 en décèdent. 75% garderont des séquelles irréversibles17.

Association Stop Bébé secoué Association Stop Bébé secoué

Quand on confie son enfant à quelqu’un d’autre, il faudrait se sentir autorisé à dire sans peur de choquer : "Si ça ne va pas avec mon enfant, si tu ne te sens pas à l’aise, pas de souci, tu m’appelles afin que je prenne rapidement le relais".14

Flora Blangis Flora BLANGIS Sage-femme épidémiologiste

La maltraitance pendant l'enfance : des conséquences également à l'âge adulte

Un enfant qui subit des violences ne grandit pas comme un enfant qui n’en subit pas.

Sur le plan socioaffectif, la recherche montre que les enfants violentés présentent davantage des comportements de retrait et d’évitement, des symptômes dépressifs et anxieux, des troubles alimentaires, des difficultés comportementales comme la colère, l’impulsivité, l’opposition.

Sur le plan neurologique et cognitif, on remarque des problèmes d’attention, des dégradations des fonctions exécutives et des habiletés cognitives.

Selon l’OMS7, les enfants exposés à la violence ont un risque accru d’apparition d’un grand nombre de maladies tout au long de leur vie ; maladies cardio-vasculaires, cancers, diabètes, dépressions et autres problèmes de santé mentale. Ils paient un coût énorme en termes de qualité de vie. Des champs de recherche en développement avancent même de possibles répercussions biologiques en influençant l’expression de certains gènes.8

Dans la recherche Saint-Ex9 qui a suivi le parcours de 129 enfants placés sur 29 ans, deux tiers d’entre eux, présentent sur le long terme des signes de souffrance d’intensité variable, dont la moitié jusqu’à des situations de handicap psychique et social.

La notion de psychotraumatisme

D’après Muriel Salmona10, psychiatre, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, le cerveau des enfants est particulièrement vulnérable aux violences, pouvant entrainer une perte de volume jusqu’à 30% de certaines structures corticales, une diminution des connexions neuronales et des dysfonctionnements graves des circuits des émotions et de la mémoire.

Ce n’est pas parce qu’un enfant est dans l’incapacité de comprendre un événement violent et de le mémoriser qu’il n’y a pas de psychotraumatisme, au contraire. Chez un adulte qui a été victime de violence dans l’enfance, les atteintes sont clairement repérables sur une IRM du cerveau. Le stress vécu lors d’un événement violent active des mécanismes neuro-biologiques et neuro-physiologiques exceptionnels qui s’apparentent à une déconnexion, entrainant une analgésie émotionnelle et physique et des symptômes dissociatifs.

En grandissant, certaines victimes peuvent développer des stratégies de survie comme se mettre en danger ou reproduire les violences subies sur autrui.

La mémoire traumatique est le dénominateur commun des violences, de leurs conséquences et de leurs causes...16

Muriel SALMONA Psychiatre

savoir-reperer-les-violences-physiques

Savoir repérer les violences physiques et agir

Les signes physiques évocateurs des violences 11

Ecchymoses ou brûlures sur des zones cutanées non habituellement exposées, ou multiples, ou de grande taille ou reproduisant l’empreinte d’un objet ou d’une main

Morsures, fractures, lésions viscérales dans des circonstances de survenue non claires

Signes de négligences lourdes ayant de graves conséquences sur le développement physique et psychologique de l’enfant

 

Certains éléments doivent attirer l’attention des professionnels de la santé et de la petite enfance, comme une lésion pour laquelle une explication est floue ou incohérente par rapport aux capacités de l’enfant, des plaintes régulières sans explication, des antécédents d’accidents domestiques répétés, un retard de recours aux soins…

Les adultes qui accompagnent l’enfant peuvent sembler minimiser, banaliser, contester les symptômes, se contredire, refuser les investigations médicales, avoir une attitude agressive ou être sur la défensive.

24%
des Français interrogés sur leur propre enfance relatent des évènements assimilables à de la maltraitance (+ 10 points depuis 2014) (12)
+80 %
des mauvais traitements sont infligés au sein de la famille. La maltraitance est caractérisée par son début précoce et sa chronicité. La maltraitance, plus fréquente qu’on ne le croit, existe dans toutes les classes sociales (11).

Face à une suspicion de maltraitance, comment réagir ? 13

En cas de danger immédiat, l’enfant doit être extrait de son milieu et recevoir les soins nécessaires à son état ; il convient donc d’adresser l’enfant aux Urgences. Il est possible aussi de faire un signalement auprès du procureur de la République par téléphone (suivi d’un signalement sous forme écrite).

En dehors des situations d’urgence, on peut se tourner vers la cellule départementale traitant les informations préoccupantes (CRIP). En cas de doute, le 119, joignable 24/24 tous les jours, permet de répondre à tous les questionnements des professionnels, des parents, des enfants eux-mêmes.

Mieux vaut signaler, au risque de se tromper, que de laisser un enfant en danger. Quand il s’agit d’un mineur, il n’est pas possible d’être poursuivi pour dénonciation calomnieuse, sauf s’il est établi qu’il y a eu volonté de nuire au présumé auteur. La loi du 5 novembre 2015 met l’ensemble des professionnels de santé à l’abri de toute poursuite pénale pour violation du secret professionnel, sauf s’il est établi qu’ils n’ont pas agi de bonne foi.

Les médecins traitants peuvent également contacter leur confrère référent de l’Aide Sociale à l’Enfance ou de la cellule des informations préoccupantes de leur département.

Réduire les retards de diagnostics

Flora Blangis, sage-femme épidémiologiste a remporté le prix de Pédiatrie Sociale 2019 de la Fondation Mustela pour son projet consacré à l’étude des retards diagnostiques de la maltraitance physique du jeune enfant en lien avec l’INSERM.

L’étude d’une centaine de dossiers d’enfants hospitalisés pour une maltraitance physique sévère a permis de remonter le parcours de soin de ces derniers. Dans plus de 30% des cas, soit une consultation antérieure avec un professionnel de santé aurait dû faire penser à de la maltraitance (par exemple, un hématome sur la joue relaté dans le carnet de santé), soit un diagnostic de maltraitance de l’enfant ou d’un membre de sa fratrie avait été posé et il y a eu récidive malgré les mesures de protection de l’enfance mises en place.

Le retard de diagnostic peut s’expliquer par un manque de formation, des recommandations manquant de clarté ou d’homogénéité selon les pays européens, des blocages personnels comme la peur de rompre le lien avec la famille ou des biais intuitifs comme celui de ne pas penser à la maltraitance quand l’enfant est issu d’un milieu socio-économique favorisé.

Travailler en équipe, se tourner vers d’autres professionnels, échanger avec ses collègues, permet souvent de soulever des doutes et de réagir plus vite.14

Selon l’INSERM15, plus d’un tiers des diagnostics de maltraitance physique sont posés avec retard et des résultats faussement négatifs exposent les nourrissons à un risque de récidive de maltraitance estimé entre 35% et 50%.

Informer les enfants en âge de comprendre

Si l’éducation positive s’ancre de plus en plus en France, encore beaucoup d’enfants vivent la violence au quotidien comme une normalité. L’école doit pouvoir ouvrir des espaces de parole et amener des repères clairs sur ce sujet en s’appuyant sur des outils adaptés.

Le célèbre auteur d’albums jeunesse, Claude Ponti, a illustré une brochure19 à destination des élèves de maternelles, CP et CE1, soulevant des questions comme : C’est quoi les violences ? Est-ce qu’il t’arrive d’être très mal, d’avoir des idées embêtantes, de faire des cauchemars, de ne rien ressentir comme si tu étais un robot, de craindre des endroits ou des personnes, d’avoir le cœur qui bat très fort ? Comment les violences peuvent te rendre malade ? Comment réagir ?

Avec humour et gravité, un petit livre précieux pour rappeler tout simplement que personne n’a le droit de faire mal exprès et que les violences sont punies par la loi.

Sources

1 https://solidarites.gouv.fr/plan-de-lutte-contre-les-violences-faites-aux-enfants-2023-2027

2https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/victimes-de-violences-physiques-ou-sexuelles-enregistrees-par

3 https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-maltraitanceenfants-rapportcomplet-2014.pdf

4 https://www.santepubliquefrance.fr/docs/paroles-d-experts.-regards-croises-sur-la-conduite-de-recherches-sur-la-maltraitance-intrafamiliale-envers-les-enfants-et-les-adolescents-30-31-m

5 https://www.epi-phare.fr/rapports-detudes-et-publications/risque-violence-enfants/

6 https://www.ameli.fr/lot/assure/sante/urgence/bebe-enfant/syndrome-bebe-secoue

7 https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/violence-against-children

8 https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-maltraitanceenfants-rapportcomplet-2014.pdf

9 https://www.programmepegase.fr/_files/ugd/6833ab_34d3a841d5fd42b7a4069ffa582c4b78.pdf

10 https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20240523-Que%20se%20passe-t-il%20dans%20le%20cerveau%20lors%20d'un%20trauma-Explications%20avec%20sch%C3%A9mas.pdf

11 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-11/fiche_memo_maltraitance_enfant.pdf

12 https://enfantbleu.org/sondage-harris-toluna-pour-lenfant-bleu-2022/

13 https://solidarites.gouv.fr/que-faire-si-vous-etes-temoin-de-la-maltraitance-dun-enfant

14 Entretien réalisé pour les Laboratoires Expanscience en juin 2024

15 https://presse.inserm.fr/maltraitance-physique-infantile-homogeneiser-les-recommandations-pour-optimiser-le-diagnostic/44187/

16 https://www.orspere-samdarra.com/wp-content/uploads/2021/07/os-rhizome-80-81.pdf

17 https://stopbebesecoue.fr/sbs/

18 https://www.unicef.fr/article/400-millions-denfants-victimes-de-violences-domestiques/

19 https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/2022-quand-on-te-fait-du-mal_ponti-memoire-traumatique-hdweb.pdf