Prix honorifique : Identification de biomarqueurs omiques pour la santé materno-foetale

Sage-femme aux Hospices civils de Lyon, Vanessa Del Vitto consacre sa thèse à « l’identification de biomarqueurs omiques pour la santé materno-foetale » (Identification of omics biomarkers for materno-fetal health) à l’université Lyon-1. Cette recherche s’inscrit dans un projet thérapeutique plus large : les applications du séquençage de l’ADN libre circulant (ADNlc) pour le dépistage ou le diagnostic de complications foeto-maternelles.

La découverte de l’ADNlc dans le sang maternel, en 1997, a bouleversé le dépistage prénatal : réalisée grâce à une simple prise de sang, cette approche permet d’effectuer des tests pour détecter de manière non invasive les anomalies chromosomiques, en particulier la trisomie 21 (DPNI). Vanessa Del Vitto souhaite ainsi détecter l’ADN viral et en particulier celui du
cytomégalovirus (CMV) et du parvovirus B19 (qui connaît un pic épidémique depuis 2023) : ces primo-infections materno-foetales peuvent entraver le bon déroulement de la grossesse ou le développement du futur enfant. Or, contrairement à la toxoplasmose, il n’existe actuellement aucune recommandation officielle de dépistage dès le début de la grossesse.

Concrètement, l’idée est de séquencer ces virus de manière « incidente » lors de l’étude de l’ADNlc de dépistage de la trisomie 21 et d’ainsi identifier ces infections asymptomatiques. En première intention, ce nouveau test sera proposé aux patientes ayant des antécédents de fausses couches.

Si l’idée d’un tel projet a déjà été formulée, aucune étude d’utilité clinique n’a encore été réalisée. Ces résultats pourraient donc constituer une base solide pour recommander l’intégration d’une telle technologie dans les pratiques cliniques courantes et mieux prendre en charge les femmes enceintes et leur foetus, et ce sans prélèvement ni manipulation supplémentaires. À plus long terme, l’objectif est d’exploiter les possibilités de biomarqueur de l’ADNlc en identifiant des « signatures cellulaires » prédictives de complications obstétricales graves, telles que le syndrome transfuseur-transfusé.

Entretien avec Vanessa DEL VITTO

Sage-femme aux Hospices civils de Lyon, Vanessa Del Vitto consacre sa thèse à « l’identification de biomarqueurs omiques (“omics biomarkers”) pour la santé materno-fœtale » à l’université Lyon-1. Cette recherche s’inscrit dans un projet thérapeutique plus large : recourir au séquençage de l’ADN libre circulant (ADNlc) pour mieux dépister et diagnostiquer de possibles complications fœto-maternelles. La découverte de l’ADNlc dans le sang maternel, en 1997, a bouleversé le dépistage prénatal : elle permet d’effectuer de manière non invasive des tests d’anomalies chromosomiques, en particulier la trisomie 21 (DPNI). Et elle n’exige qu’une simple prise de sang chez la mère.
 

Vous souhaitez identifier la présence éventuelle d’infections asymptomatiques dans le sang maternel. Concrètement, comment allez-vous procéder ?

Cette étude repose sur une analyse rétrospective des données des cinq dernières années, couvrant environ 7500 patientes (hors grossesses en cours). Notre méthodologie se structure en plusieurs étapes clés. 
D’abord, nous exploitons les données de séquençage d’ADN libre circulant (ADNlc) déjà disponibles dans notre service de génétique, issues du dépistage prénatal non invasif de la trisomie 21. Ensuite, nous évaluerons deux approches bio-informatiques sur des échantillons positifs connus :

  • Une méthode de métagénomique impliquant un réalignement des données sur les génomes de référence (humains et viraux). Cette approche, très spécifique, permet d'identifier précisément les séquences virales de CMV et parvovirus B19 dans les échantillons ;
  • Une méthode par k-mer, analysant directement les données brutes sans alignement, offrant un processus plus rapide et moins intensif en ressources informatiques. 

Enfin, nous appliquerons la méthode la plus performante sur l’ensemble des 7500 échantillons, suivie d'une validation par un laboratoire de virologie partenaire, grâce à des PCR sur tous les échantillons identifiés comme positifs ; et l’analyse de 50 échantillons présumés négatifs pour évaluer la spécificité. 
Cette approche, utilisant des données historiques et des échantillons plasmatiques conservés à -80°C, vise à valider l’utilité clinique du séquençage d’ADNlc pour détecter les infections virales asymptomatiques, sans nécessiter de prélèvements additionnels.
 

Dans le cadre de votre recherche, vous vous intéressez au cytomégalovirus (CMV) et au parvovirus B19. Pour quelles raisons ? Le séquençage de l’ADNIc pourrait-il être utilisé pour dépister d’autres virus ?

Le CMV et le parvovirus B19 sont deux infections materno-fœtales majeures qui, contrairement à la toxoplasmose, ne font pas l’objet d’un dépistage systématique en début de grossesse en France. Le CMV est particulièrement préoccupant, avec 1 nourrisson sur 200 touché dans les pays développés et une prévalence de 86% chez les femmes en âge de procréer. La primo-infection pendant la grossesse présente un risque de transmission verticale de 30 à 40%, pouvant entraîner des séquelles graves chez le fœtus, notamment neurologiques et auditives.
Quant au parvovirus B19, il représente un enjeu actuel avec une épidémie touchant particulièrement les femmes enceintes. Avec 34 à 65% de femmes enceintes non immunisées, et un taux de transmission verticale de 17 à 33%, il peut causer des complications sévères comme l’anémie fœtale ou l’anasarque, particulièrement entre 9 et 20 semaines de gestation.
L'étude de ces deux virus est donc importante, car ils peuvent entraîner des conséquences développementales importantes. Or leur prise en charge pourrait être améliorée par un dépistage plus systématique, notamment pour le CMV où un traitement précoce par valaciclovir peut réduire significativement le taux d’infection fœtale.
Le séquençage de l’ADN libre circulant se révèle un outil prometteur pour le dépistage viral multiple. Des travaux antérieurs ont démontré son efficacité pour la détection de plusieurs virus, en particulier le CMV, le parvovirus B19, les virus de l’herpès humain 6 et 7 (HHV6 et HHV7) ou encore le virus d’Epstein-Barr (EBV).
La détection est particulièrement efficace, car ces virus ciblent les progéniteurs des cellules hématopoïétiques et les leucocytes, qui sont d’importantes sources d’ADN libre circulant dans le sang. Cette caractéristique biologique facilite leur identification par séquençage de l’ADNlc.
 

Quels résultats attendez-vous de cette recherche ?

D’un point de vue méthodologique, nous allons déterminer la méthode bio-informatique la plus efficace – approche métagénomique ou méthode k-mer – et établir des paramètres de sensibilité et de spécificité de la technique retenue. D’un point de vue clinique, nous espérons faire la démonstration de la faisabilité d’un dépistage viral précoce (dès 12 SA) sans prélèvement supplémentaire. Enfin, concernant les perspectives, nous aimerions intégrer cette analyse dans la pratique clinique courante du dépistage prénatal non-invasif et établir une base solide pour recommander la mise en œuvre de cette technologie dans le suivi standard.
 

Un séquençage routinier de l’ADNIc en période prénatale est-il souhaitable ? 

Le séquençage de l’ADN libre circulant en période prénatale ouvre des perspectives considérables pour le suivi des grossesses. Au-delà de son utilisation actuelle pour le dépistage des trisomies 21, 13 et 18, cette technologie pourrait révolutionner plusieurs aspects du suivi prénatal. 
Notre étude sur la détection de l’ADN viral, en effet, n’est qu’une des nombreuses applications possibles. Le séquençage de l’ADNlc pourrait aussi permettre d’identifier des signatures cellulaires prédictives de complications obstétricales majeures comme le syndrome HELLP, le syndrome transfuseur-transfusé, le retard de croissance intra-utérin ou le diabète gestationnel. L’analyse de l’exome fœtal (représentant les régions codantes de l’ADN, soit 1 à 2% du génome) à partir de l’ADN libre circulant fœtal dans le sang maternel fait par ailleurs l’objet de recherches actives. Cette approche non-invasive pourrait, à terme, compléter les outils diagnostiques actuels, notamment en cas d’anomalie échographique, pour rechercher des variants génétiques potentiellement associés aux malformations observées.
Cette approche pourrait bénéficier à toutes les femmes enceintes, avec une personnalisation en fonction du contexte de leur grossesse. Nos travaux ont notamment démontré son utilité dans le cadre des fausses couches spontanées, où elle permet d’identifier des anomalies chromosomiques explicatives.
La généralisation du séquençage de l’ADNlc ouvrirait ainsi la voie à une médecine prénatale plus préventive et personnalisée, permettant une prise en charge mieux adaptée aux complications potentielles de la grossesse. Toutefois, son déploiement à grande échelle nécessitera une réflexion approfondie sur l’accessibilité.

*Exome : petite partie du génome (environ 1,5%) qui regroupe plus de 85% des mutations associées aux maladies génétiques.