Synchropréma, analyse de l’impact des sessions de lecture par un psychothérapeute sur la synchronie mère-bébé à différents niveaux : hormonal, physiologique, comportemental, dans une population d’enfants prématurés âgés de 34 à 36 SA, en réanimation néonatale à Amiens

La pédopsychiatre Laure Boissel a reçu une Bourse de Recherche pour sa thèse en science consacrée à « Synchropréma, analyse de l’impact des sessions de lecture par un psychothérapeute sur la synchronie mère-bébé à différents niveaux : hormonal, physiologique, comportemental, dans une population d’enfants prématurés âgés de 34 à 36 SA, en réanimation néonatale à Amiens », réalisée à l’université Picardie Jules Verne.

La « synchronie mère-bébé » désigne les signaux hormonaux, physiologiques et comportementaux échangés entre un parent et son enfant lors d’un contact privilégié. Elle a des traductions génétique (méthylation/déméthylation), physiologique (ajustement de la fréquence cardiaque et du tonus vagal mère-bébé), neuroendocrinienne (sécrétion d’ocytocine et de vasopressine), comportementale (jeux de regards et interactions verbales) et psychique (discours maternel).

Cette recherche s’inscrit dans le cadre de l’essor actuel de thérapies précoces de soutien à la parentalité, dès avant la sortie de réanimation. Son hypothèse est la suivante : en cas de naissance prématurée et d’hospitalisation néonatale, la lecture à des parents et des bébés par des psychothérapeutes peut soutenir le lien entre eux. Elle permet ainsi de prévenir le développement de troubles anxieux et symptômes dépressifs – plus fréquents chez les enfants prématurés – durant l’enfance et à l’âge adulte.
C’est durant son clinicat au CHU d’Amiens que Laure Boissel a travaillé sur la méthodologie d’un usage clinique de la lecture et l’inclusion de 20 dyades mère-enfant. Le projet est inspiré d’une pratique qui y est courante depuis 15 ans : des psychothérapeutes de l’équipe de soins psychiques en périnatalité se rendent dans le service de réanimation néonatale, pour lire des livres à la famille, avant d’échanger librement avec les parents autour des réactions de l’enfant.

 

Entretien avec Laure BOISSEL

La pédopsychiatre Laure Boissel consacre sa thèse à « Synchropréma, analyse de l’impact des sessions de lecture par un psychothérapeute sur la synchronie mère-bébé à différents niveaux : hormonal, physiologique, comportemental, dans une population d’enfants prématurés âgés de 34 à 36 SA, en réanimation néonatale à Amiens » (université Picardie Jules Verne). Lire des livres aux familles en réanimation néonatale : c’est ce que pratiquent depuis une quinzaine d’années des psychothérapeutes de l’équipe de soins psychiques au CHU d’Amiens, où la lauréate a réalisé son clinicat. Une pratique qui lui a inspiré son thème de recherche et qui s’inscrit dans le cadre de l’essor des thérapies précoces de soutien à la parentalité, dès avant la sortie de réanimation. Objectif : prévenir l’apparition de troubles anxieux et symptômes dépressifs des enfants prématurés à l’enfance et l’âge adulte.

 

Qu’est-ce que la « synchronie mère-bébé » ?

La notion de synchronie, initialement issue de la musicologie, décrit les moments d’harmonie dans une pièce musicale. En psychologie développementale, la synchronie se définit comme la manière dont une mère et son bébé « s’ajustent » mutuellement lors d’une interaction privilégiée, que ce soit lors de l’allaitement, du jeu, ou encore du peau à peau. Cette synchronie est essentielle au développement socio-émotionnel des enfants et des bébés, car c’est dans ces moments que l’enfant construit son modèle de sécurité par rapport au monde, qu’on appelle le « modèle d’attachement ». C’est aussi dans ces moments d’attention accrue que se construisent ses repères cognitifs et émotionnels.


Comment la lecture peut-elle favoriser cette synchronie ?

En réanimation néonatale, cette synchronie mère-bébé est plus difficile à instaurer, car la rencontre peut être entravée par le stress engendré par la naissance, et les conditions médicales des parents et/ou de l’enfant. Le livre lu par un thérapeute a un pouvoir magique : il permet, par son esthétisme, sa poésie et sa rythmicité prosodique, une rencontre sur un mode différent entre le parent et l’enfant. Les albums lus sont donc des histoires présélectionnées par les psychothérapeutes pour leur esthétique, le plaisir qu’elles procurent, leur musicalité et leur capacité à éveiller une rêverie.  Raconter des histoires à un bébé est un invariant culturel. Elle permet d’accueillir un bébé en douceur dans une société et dans une culture. 


Comment l’initiative de la lecture aux familles est-elle née au CHU d’Amiens ? 

La lecture d’histoires par un thérapeute est un outil thérapeutique qui existe depuis une dizaine d’années au CHU d’Amiens, grâce notamment aux psychologues Charlotte Mariana et Pascal Corde qui l’ont instaurée dans le service de soins psychiques. C’est Charlotte Marianna qui la première, dans le cadre de son master 2, a étudié la variation du rythme cardiaque du bébé lors d’une lecture par un psychothérapeute. Dans un second temps, le professeur Jean-Marc Guilé, pédopsychiatre, a lié cet outil dans une pratique intégrative à une recherche autour de la synchronie, et monté un premier projet avec la psychiatre Daphné Scoury et le médecin responsable de la réanimation néonatale, Guy Kongolo.
Dans cette équipe, la pratique est associée à une reprise en groupe autour du vécu du lecteur-psychothérapeute, vécu que celui-ci a préalablement couché sur papier juste après la lecture. Cette méthode est inspirée de ce qu’on appelle « l’observation Esther Bick ». 


De quoi s’agit-il ?

La psychiatre et psychanalyste anglaise Esther Bick (1902-1983) a développé une méthode d’observation des nourrissons utilisée dans le cadre de la formation des psychothérapeutes. Pendant deux ans, une fois par semaine, le psychothérapeute en formation rend visite à un bébé dans sa famille pour une séance d’une heure. Durant cette rencontre, il n’écrit rien, se concentrant entièrement sur son vécu émotionnel et sur les interactions observées. Après la rencontre, le psychothérapeute rédige un compte rendu détaillé en s’appuyant uniquement sur ses impressions et émotions, et en veillant à décrire les événements de manière objective et précise. Ce compte rendu est ensuite partagé et discuté au sein d’un groupe de psychothérapeutes. Ensemble, ils analysent les observations pour construire une compréhension collective et approfondie de l’enfant et de son environnement. Une fois cette phase de formation terminée, la méthode peut également être utilisée dans un cadre thérapeutique avec des bébés rencontrant des difficultés, afin de les accompagner dans leur développement.
Ainsi, dans les tout premiers instants de sa vie, le bébé est soutenu par l’attention du lecteur et de ses parents à ses réactions durant la lecture ; le lecteur est lui-même soutenu par ses collègues dans son ressenti, parfois compliqué dans ces situations d’accompagnement en réanimation néonatale. Ce jeu de « poupées russes attentionnelles » permet une description extrêmement fine de ces infimes mouvements relationnels et soutient la relation naissante, fragilisée par le contexte de la prématurité.


Quels effets de la lecture avez-vous constatés sur place, lors de votre clinicat d’abord puis lors de vos recherches ? 

Lorsque je suis arrivée à Amiens pour mener ma recherche, c’était la première fois que je travaillais en réanimation néonatale. Ce service m’est apparu comme un monde très particulier, rempli de machines : un vaste cocon artificiel qui abrite de tout petits bébés. C’est une atmosphère sensoriellement très intense : il y a le bruit des machines, l’odeur des produits médicaux, les lumières tamisées et un contraste fort avec l’extérieur du service. Si, en tant qu’adulte, j’ai ressenti cet effet sensoriel, je me suis demandée quel pouvait donc être son impact sur de si petits bébés. 
C’est là que la lecture d’histoires m’a semblé très puissante, en créant un autre type d’abri autour du bébé. D’abord, parce que les livres que nous sélectionnons sont choisis pour leur douceur, la beauté de leurs illustrations, la musicalité de leurs textes et leur capacité à susciter la rêverie. Pendant ce moment de lecture, nous expérimentons une autre forme d’attention envers le bébé, en observant ses réactions dans cet échange partagé. Cela contraste avec la majorité des interactions qui tournent généralement autour de son état médical.
Dans mes recherches, j’ai noté plusieurs choses. Tout d’abord, il n’existe pas d’outil spécifique pour observer l’interaction entre les parents et les enfants dans une population de bébés de 34 semaines d’aménorrhée. Or, c’est un véritable défi méthodologique, car il est essentiel de pouvoir évaluer l’impact des thérapies que nous proposons. Ma thèse a donc d’abord été un chantier méthodologique, un travail de défrichage qui a demandé beaucoup de temps. Mais cet effort est crucial : il pose dès le départ l’idée d’une communication spécifique, que nous devons apprendre à appréhender. Il s’agit d’une science mise au service des familles et des bébés, et qui soutient cette relation.
Ensuite, en termes de résultats, nous avons observé que lors de ces moments de lecture, les rythmes cardiaques des mères, des bébés, et de la lectrice semblent s’accorder, se synchroniser. C’est assez incroyable : cela montre que la lecture – et le plaisir partagé autour d’elle – peut avoir un impact sur la manière dont les corps entrent en résonance.


Ailleurs en France, cette pratique est-elle fréquente ? Qu’en est-il hors de France ?

Je ne connais pas les pratiques de tous les services. En revanche, j’ai la chance de travailler avec une équipe de lectrices bénévoles qui intervient au CHU de Tours. Cette pratique existe également dans de nombreux centres médico-psychologiques (CMP) et médico-psycho-pédagogiques (CMPP) pour l’accueil des tout-petits ou dans des unités mère-bébé, comme à l’hôpital de Montesson. À Caen, une équipe formée à l’observation Esther Bick lit également des livres aux bébés en réanimation néonatale. De plus, l’équipe de psychiatrie périnatale à Lyon est en train de réfléchir à la mise en place d’un dispositif similaire. À l’étranger, je sais qu’il existe des dispositifs de lectures en réanimation néonatale, mais ils sont pensés, il me semble, davantage dans une perspective de prévention des troubles des apprentissages chez les bébés prématurés. 


Quelles sont les modalités pratiques de votre recherche ?

Notre approche de la synchronie s’effectue selon plusieurs angles, que nous comparons avec la synchronie observée entre la mère et le bébé lors de séances sans lecture, où le bébé est simplement dans les bras de sa mère avec un psychothérapeute présent.
Angle physiologique, d’abord. Nous analysons si les rythmes cardiaques de la mère et du bébé s’accordent pendant la lecture. Pour cela, nous mesurons le taux de synchronisation du tonus vagal de la mère et du bébé avant, pendant, et après la lecture, ainsi qu’au cours d’une séance sans lecture. Les résultats préliminaires montrent une harmonisation des rythmes entre la mère et l’enfant.
Angle comportemental, ensuite. Nous étudions les réponses comportementales de la mère et de l’enfant à travers une analyse vidéo. Cette phase a été particulièrement complexe, car bien qu’il existe des outils pour observer la « danse comportementale » chez les bébés plus âgés, aucun n’est adapté aux interactions entre mères et bébés de 34 semaines d’aménorrhée. Ces bébés ont une manière d’être unique, différente des bébés plus matures. Il a donc fallu concevoir un outil spécifique pour étudier la relation dans cette population, ce qui a pris plus d’un an et abouti à une première publication.
Angle éthique, enfin. Nous avons souhaité que cette étude soit également un dispositif de soutien aux interactions précoces. Pour cela, un second psychothérapeute est présent lors des inclusions et effectue un retour sur ses ressentis pendant la séance, en se concentrant sur les mouvements émotionnels des différents participants. Il rédige ensuite une observation écrite, que nous discutons en équipe. Cette approche nous offre un recul précieux pour ajuster la recherche aux besoins spécifiques de chaque dyade.
En tout, 25 dyades mère-bébé ont été incluses dans l’étude, et les inclusions sont désormais terminées. Nous pourrons exploiter les données du tonus vagal de 12 dyades. Nous disposons également de 20 enregistrements vidéo et de 14 observations selon la méthode Esther Bick.


Quels résultats en attendez-vous ? 

Nos attentes sont d’ordres différents. En premier lieu, s’agissant de l’impact de la lecture sur les interactions précoces. La lecture d’histoires par un psychothérapeute est un dispositif simple et peu coûteux, mais il pourrait avoir un impact puissant pour soutenir les interactions précoces en réanimation néonatale. 
En deuxième lieu, la validation scientifique d’un outil thérapeutique accessible et interdisciplinaire. Démontrer scientifiquement l’efficacité du dispositif permettrait de promouvoir cet outil que pourraient s’approprier non seulement les psychothérapeutes, mais aussi les infirmières et autres professionnels, à condition qu’un cadre de soutien groupal soit disponible pour discuter de ces lectures. La musicalité des belles histoires permettrait de dépasser des frontières professionnelles parfois rigides et de créer des collectifs puissants.
Troisièmement, la construction d’une méthodologie d’évaluation des interactions précoces. La qualité des interactions précoces et la méthodologie pour les décrire représentent un enjeu de santé publique. Évaluer les thérapies mises en place pour soutenir le lien avant la sortie de la réanimation néonatale est crucial, car ces thérapies sont celles qui ont le plus d’impact. La méthodologie décrite est simple, fiable et applicable dans tout contexte interactionnel, pas seulement pour la lecture, ce qui en fait un indicateur de reproductibilité.
Quatrièmement, l’inscription dans le monde. Grâce à mon parcours en sciences humaines et sociales, je suis sensible à l’inscription des enfants dans le monde. C’est une pratique simple, peu coûteuse, mais j’ai été frappée par la force des collectifs professionnels qui se forment autour de la lecture aux bébés en réanimation néonatale. Mais, après tout, raconter des histoires ensemble aux bébés, autour d’un feu, n’est-ce pas un invariant culturel ? Je me suis souvent dit que le livre était comme une corne de brume, guidant le tout-petit vers le rivage d’une société qui l’attend. La lecture tisse des liens sonores qui lui permettront d’accoster tout en douceur.
Développement de l’observation et de l’empathie pour de nouvelles formes de relations, enfin. Travailler avec des bébés prématurés, dont la communication est très éloignée de la nôtre, nous conduit à développer des outils d’observation et de compréhension qui affinent nos capacités d’empathie. Cet exercice méthodologique explore les limites de la communication, permettant de saisir des interactions subtiles qui échappent au langage parlé. Cette attention aux mouvements presque imperceptibles ouvre la voie à des études sur notre relation avec le vivant et à l’observation de formes de relations encore invisibles.